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De tant de défaillances résulte un malaise général. On demande où nous en sommes, où nous allons, quel lendemain nous est réservé, toutes questions auxquelles il est difficile de répondre. Au dehors la France n’est pas diminuée ; elle gardera sa force intacte, elle l’accroîtra encore par une meilleure utilisation, elle tiendra tous les engagemens qu’elle a pris. Mais, à l’intérieur, il est difficile de ne pas éprouver une inquiétude très vive en constatant que la désorganisation est partout et que ce gouvernement si faible, dont l’avenir est si incertain, se propose de se tirer et de nous tirer d’affaire par une révolution fiscale et sociale où la République trouvera certainement l’épreuve la plus redoutable qu’elle ait encore traversée : et c’est elle qui l’a cherchée.


En Orient, les craintes immédiates, qui s’étaient depuis quelque temps calmées, se sont ranimées sur deux points : pendant plusieurs jours on a craint qu’un conflit n’éclatât entre la Grèce et la Porte, et en Albanie l’anarchie est arrivée à un tel degré d’acuité, qu’il semble ne pas pouvoir être dépassé et que la situation du prince de Wied soit tout à fait désespérée. En Turquie et en Grèce, grâce à la bonne volonté des deux gouvernemens et aux conseils de l’Europe, le péril pourra sans doute être conjuré ou ajourné. En Albanie, il est plus difficile d’émettre une prévision quelconque sur le sort du pays et d’un souverain qui n’y a d’appui nulle part et qui trouve peu de ressources en lui-même.

Après toutes les guerres qui se sont produites dans les Balkans, on a vu des émigrations s’y produire en masses nombreuses qui rappelaient celles des peuples nomades d’autrefois. Le même phénomène vient de se renouveler. La cause en est dans le brusque changement de la souveraineté qui, au milieu de grandes violences et de grands abus, maintenait dans le pays un ordre tel quel. C’était le cas de la souveraineté ottomane en Macédoine et en Thrace. Les races diverses qui y vivaient sous le même joug en avaient pris l’habitude, l’une dominante, l’autre dominée ; mais, quand celle qui était dominée a été dominante à son tour, il y a eu une perturbation profonde qui s’est traduite par les émigrations dont nous avons parlé. Là où les Grecs sont devenus les maîtres, les Turcs, qui l’étaient la veille, ont considéré que la vie pour eux était intenable, en quoi, toute question d’ordre politique et moral mise à part, ils n’avaient pas tout à fait tort. Sans doute leur déchéance politique leur était pénible ; ils en souffraient dans leur orgueil ; mais leur sécurité