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de son serviteur Dréolle. A en croire les confidences de ce dernier, il l’aurait encouragé[1] ; dans tous les cas, il ne déguisa pas que l’abdication de l’Empereur était désirable.


La Révolution s’acheva à l’Hôtel de Ville par la constitution définitive du ministère. Jules Favre eut les Affaires étrangères, parce qu’il avait l’habitude d’en déraisonner. On offrit l’Instruction publique à Simon. « Y pensez-vous ? répliqua-t-il, et voulez-vous me rendre ridicule ? N’y a-t-il pas autre chose de plus pressant à faire que de s’occuper d’enseignement ? » On insista. Il y avait encore dans les écoles et dans les collèges des enfans qu’il fallait y garder ou rendre à leur famille : la situation des professeurs méritait aussi qu’on s’en occupât. Il se rendit. On n’eut pas de peine à obtenir que Crémieux conservât la Justice. On plaça le général Le Flô à la Guerre, l’amiral Fourichon à la Marine, Dorian aux Travaux publics, Magnin au Commerce. Les nominations de Tamisier, Etienne Arago, Kératry furent confirmées. Nos nouveaux maîtres se séparèrent à trois heures du matin, étonnés eux-mêmes de la facilité de leur victoire[2] et de leur installation. Ils n’avaient pas prévu que la Régence leur opposerait si peu de résistance et que la démagogie ne leur créerait pas plus d’embarras[3].


XXX

Il se produisit dans cette soirée un phénomène moral extraordinaire que tous les observateurs du temps ont noté avec surprise. Le peuple de Paris s’était levé dans la consternation, il se coucha dans l’allégresse. Une joie intense, générale, communicative, s’empara de cette population, espèce d’épidémie, panique

  1. Dréolle. Le 4 septembre, page 24 : — « Le gouvernement reste tel qu’il est, me dit Rouher, après le conseil du 3 septembre, à 5 heures. J’expliquai alors le danger que j’y voyais : je formulai de nouveau mon projet en indiquant deux membres de la Gauche comme susceptibles d’entrer dans un conseil de gouvernement. — Ils refuseront, me répondit M. Rouher, mais faites ce que vous jugerez bon. Si vous pouvez créer une entente sur ce terrain, marchez ! » Dréolle étant resté un des auxiliaires préférés de Rouher, on ne peut douter de l’authenticité de l’anecdote.
  2. Mézières à Mme d’Agoult, 5 septembre : « Nous avons fait simplement hier une révolution, sans secousse, avec une facilité qui nous étonne nous-mêmes. »
  3. Jules Favre, Déposition : « Je m’attendais à ce que la Révolution produirait de6 maux plus grands que ceux qu’elle a produits. »