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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/262

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joyeuse, inverse des paniques de la peur. On se félicitait, on se réjouissait, on se serrait la main, on s’asseyait en riant aux tables des cafés ; les gardes nationaux ornaient leurs fusils de feuillages ou de fleurs ; on eût dit que chacun de ces milliers d’êtres humains venait d’être allégé d’un insupportable cauchemar. Ce cauchemar était-il l’oppression de l’Empire ? Non, certes, cette oppression n’existait plus depuis longtemps, malgré ce qu’en ont dit des sectaires menteurs. Napoléon III était aimé par le peuple, et l’Impératrice n’inspirait pas de haine. Non, le peuple s’imagina que la guerre était finie et qu’à l’annonce de l’établissement de la République, les Prussiens s’arrêteraient épouvantés. « Ils n’oseront plus venir, maintenant que nous l’avons, » disait un ouvrier à un de ses camarades. Ils étaient persuadés que les merveilles de 92 allaient se renouveler, et qu’aucune force ne résisterait à l’élan de la France révolutionnaire[1]. Voilà pourquoi, le soir du 4 septembre, Paris était en liesse.

Pendant ce temps, Moltke, couché sur ses cartes, organisait déjà l’investissement, et, dans une petite rue de Paris (Corderie du Temple, 6), le soir, se réunissaient l’Internationale et les fédérations ouvrières. Elles arrêtèrent la formation, en face du gouvernement de l’Hôtel de Ville, d’un gouvernement révolutionnaire d’attente, composé des citoyens désignés par les réunions publiques à des comités d’arrondissement : deux petits nuages noirs, venus de divers côtés de l’horizon, allaient s’étendre, se rencontrer, se réunir et couvrir de leur voile épais le ciel radieux d’espérance ou de joie sous lequel s’endormait le peuple de la grande cité !

Un rassemblement anodin de quelques députés, quatre-vingt-dix à peu près, qui, réunis chez un des leurs, Johnston, persistaient à ne pas comprendre qu’ils avaient eux-mêmes détruit leur mandat public en décrétant la déchéance, fut dispersé par la police, et Johnston, arrêté un instant, ne fut laissé en liberté qu’à la condition de ne pas recommencer. Ces protestations n’avaient ni sérieux, ni conviction, et ces messieurs virent enfin qu’ils n’avaient désormais qu’à se tenir tranquilles. Trois d’entre eux rédigèrent une protestation très tempérée dont la conclusion était qu’il n’y avait rien à faire. « Si la Chambre

  1. Voyez une belle page de Sarcey dans : Siège de Paris, p. 27.