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On sait que depuis fort longtemps, — car cela résultait de la nature même des choses, — la France et la Russie avaient une tendance à s’unir. Sans remonter jusqu’à Pierre le Grand, — et cependant cette origine n’est pas discutable, puisque Saint-Simon nous apprend que le Tsar avait une passion extrême de s’allier avec la France ; — sans insister sur la politique de Louis XV, auquel Elisabeth offrit son alliance, ni sur celle du Directoire, avec lequel Paul Ier avait entamé des pourparlers, ni sur celle de Napoléon Ier qui, par un mariage avec la grande-duchesse Anne, aurait pu constituer une alliance plus sûre que l’alliance autrichienne, ni sur la politique de Louis XVIII, qui accueillit avec froideur les propositions d’Alexandre pour l’union du Duc de Berry avec une princesse russe et de sérieuses insinuations relatives à un accord et à un traité entre les deux nations, — il est certain que le gouvernement de Charles X avait sérieusement préparé cette alliance et que le duc de Richelieu et M. de Chateaubriand s’y étaient fort appliqués.

Cette politique, qui eût pu donner les meilleurs résultats, ne fut pas suivie avec méthode par le second Empire. Il convient toutefois de reconnaître qu’il l’essaya, mais il ne le fit pas adroitement, ni avec l’esprit de suite qu’elle méritait. Au début de son règne, Napoléon III avait cherché à se rapprocher de la Russie par l’entremise de M. de Beust, puis du comte Walewski. La guerre de Crimée vint arrêter les pourparlers. Mais, après la chute de Sébastopol et le traité de Paris, le prince Orlof, confident des pensées de Nicolas, s’était déclaré partisan enthousiaste de l’empereur des Français qui lui paraissait maintenant avoir l’intention de modérer les prétentions de l’Angleterre et de contenir les revendications de l’Autriche. Morny avait ensuite entretenu une correspondance secrète avec Gortchakof et prêché l’alliance franco-russe à laquelle Persigny était opposé. Le nouveau tsar, Alexandre II, y était favorable et affirmait la sincérité de ses intentions. Morny, confiant, déclarait que la Russie seule pouvait ratifier tout agrandissement de la France et disait ironiquement a ceux qui paraissaient en douter : « Demandez-en donc autant à l’Angleterre ? » Mais Napoléon III tenait plus encore à l’alliance anglaise, quoique la reine Victoria ne se prêtât guère à ses desseins. Cependant, l’entrevue