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en son implacable impudence. Les députés de la majorité se communiquaient avec consternation, les députés de la Gauche avec triomphe, les nouvelles de Marseille et de Lyon qui se confirmaient[1]. Dans la salle des Pas-Perdus et les couloirs, un grand nombre de gens étrangers à la Chambre ou au service circulaient librement ; quelques-uns, tels que Clément Laurier, allaient de groupe en groupe, excitant tout haut a la révolte, tandis que les questeurs ne paraissaient pas s’en apercevoir.

Les coryphées de l’Opposition étaient salués, entourés, caressés. Du plus loin qu’on aperçut Thiers, ce fut à qui de la Gauche, du Centre, de la Droite s’élancerait vers lui. Il communiqua le projet qu’il comptait placer subsidiairement à côté de celui de Jules Favre. Il était ainsi conçu : « Vu la vacance du trône, la Chambre nomme une Commission de gouvernement et de défense nationale. Une Constituante sera convoquée dès que les circonstances le permettront. » Les députés de la Gauche approuvèrent. Le Vu la vacance du trône et l’annonce d’une Constituante équivalaient à la déchéance. Les députés de la Droite montrèrent des scrupules : « Il est évident qu’il faut en finir, dirent-ils à Thiers ; nous sommes décidés à déclarer la vacance du trône, mais il nous est impossible de la prononcer ouvertement ; qu’on nous épargne le mot. — Qu’à cela ne tienne, répondit Thiers ; pourvu que nous obtenions la chose, peu nous importe le mot. » Ce n’était pas la première fois « que l’on obtenait, par une expression différente, ce qui aurait été refusé sous son véritable nom[2]. » Au lieu de la vacance du trône, il mit vu les circonstances. La Gauche, pour satisfaire son public, se crut obligée de maintenir déchéance, mais elle promit qu’elle voterait vu les circonstances. Même avec cette atténuation de forme, la proposition ne constituait pas moins « une sorte de gouvernement provisoire, et arrivait à l’élimination du gouvernement existant[3]. »

L’atténuation des considérans était amplement compensée par

  1. Entre huit et neuf heures, en effet, l’Hôtel de Ville de Lyon avait été envahi, le préfet gardé à vue ; à dix heures, Ménon avait paru au balcon et proclamé la République ; les soldats de service à l’Hôtel de Ville s’étaient retirés crosse en l’air ; un escadron de cavalerie qui arrivait sabre au poing l’avait mis au fourreau en débouchant sur la place des Terreaux. A Marseille, les factieux avaient envahi la préfecture. Au lieu de les repousser, les soldats, mal commandés comme partout, les avaient laissés pénétrer.
  2. Mirabeau, 47e note.
  3. Expressions de Duvernois dans sa déposition.