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inamicale à l’égard d’une puissance quelconque. Elle avait pour résultat, en ce qui nous concerne, de rompre l’isolement dans lequel nous nous trouvions depuis 1870 et qui, plus d’une fois, avait enlevé à notre diplomatie la liberté d’esprit dont a besoin le gouvernement d’un grand pays. Si certains regrettent qu’on ne soit pas allé plus loin, qu’on n’ait pas ouvert des horizons à la justice immanente, qu’ils se consolent en pensant que, si nous l’avions proposé, la Russie ne serait pas entrée dans cette voie. Alexandre III était un souverain éminemment pacifique. Il l’avait prouvé en 1886, lors du conflit avec l’Angleterre en Afghanistan, et il n’aurait pas démenti son passé. » L’Autriche-Hongrie, qui redoutait le ressentiment russe, motivé par le traité de Berlin, s’était rattachée à l’Allemagne, malgré les souvenirs de Sadowa, et le souci de sa défense passa avant celui d’une revanche qui persistait cependant au fond de bien des cœurs. Le comte Andrassy n’avait-il pas dit, le 27 avril 1879, à M. de Bismarck : « Contre une alliance franco-russe, le coup à jouer est une alliance austro-allemande ? » Et le chancelier allemand avait répondu que le ministre hongrois avait donné une formule heureuse à la nécessité qui s’imposait. Les deux pays, qui s’étaient fait une guerre acharnée en 1866, se réunissaient maintenant pour se prémunir contre des complications extérieures qui pouvaient, croyaient-ils, les surprendre un jour ou l’autre. Sans savoir les raisons qui auraient pu empêcher l’Autriche de s’unir à l’Allemagne, si elle eût été assez impolitique pour agir ainsi, nous pouvions et nous devions accepter l’alliance russe qui, tout en restant défensive, nous mettait à l’abri des alertes qui, depuis 1871, nous étaient venues du côté allemand. La politique digne d’un grand pays est d’aller immédiatement au plus pressé. Ce n’est pas oublier que de savoir se préparer et de savoir attendre.

Il faut, pour comprendre l’importance de l’alliance franco-russe, rappeler toujours les inquiétudes que sa formation causait au prince de Bismarck. Il avait tout essayé, tout fait pour l’empêcher. Sans le calme et sans la sagesse de l’empereur Guillaume Ier, la paix entre l’Allemagne et nous eût été certainement troublée. Bismarck détestait la Russie, peut-être plus que la France, mais il s’ingéniait à dissimuler cette haine et affectait d’avoir, en apparence au moins, de bonnes relations avec elle. Pourquoi ? Parce qu’il n’avait confiance en personne,