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même en ses alliés. « Il n’existe pas, disait-il avec une certaine amertume, pour l’Allemagne d’assurance absolument certaine contre le naufrage de la combinaison choisie ; mais il nous sera possible de tenir en échec les tendances anti-allemandes en Autriche, tant que la politique de l’Allemagne n’aura pas coupé derrière elle le pont qui conduit à Pétersbourg, tant qu’elle n’aura pas créé entre la Russie et nous un abîme sur lequel on ne pourra plus jeter de pont. Aussi longtemps que cet abîme n’existera pas, Vienne pourra tenir en bride les élémens hostiles ou étrangers à l’alliance allemande. »

Le chancelier allemand prévoyait, en cas de rupture diplomatique avec la Russie, que l’Autriche serait plus exigeante vis-à-vis de l’Allemagne et lui demanderait, pour prix de son alliance, la défense des intérêts autrichiens en Orient et dans les Balkans. Il avouait être assez embarrassé à cet égard, et ses aveux jettent une lumière curieuse sur la situation qu’il a léguée à ses successeurs. Je ne sais s’ils sont plus généreux que lui, ou si, par de nouveaux engagemens, ils ont l’intention de l’être, mais il est bon de méditer les lignes suivantes : « Ce n’est pas la mission de l’Empire allemand de prêter ses sujets à autrui et de contribuer par le sacrifice de leurs biens et de leur sang à réaliser les vœux des voisins. Le maintien de la monarchie austro-hongroise est pour l’Allemagne une question d’équilibre européen, question sur laquelle on peut, en toute tranquillité de conscience, engager la paix du pays ; mais qu’on s’abstienne à Vienne de déduire de cette alliance des droits autres que ceux pour lesquels elle a été conclue ! »

Puis, abordant le sujet qui lui tenait le plus à cœur, c’est-à-dire la possibilité d’une rupture entre la Russie et l’Allemagne, il disait avec une franchise plus brutale encore : « Il fallait qu’en Russie l’opinion publique et la presse eussent une dose peu commune de bêtise et de mauvaise foi pour croire et soutenir que la politique allemande eût obéi à des intentions agressives, lorsqu’elle a conclu une alliance défensive avec l’Autriche et l’Italie. La mauvaise foi était plutôt d’origine franco-polonaise ; la bêtise était d’origine russe. L’habileté franco-polonaise a remporté la victoire sur la maladresse, la crédulité et l’ignorance russes. » Voilà comment Bismarck traitait ceux qu’il n’aimait point et avec lesquels cependant il prétendait entretenir des relations de bon voisinage. Et comment, après un