Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/329

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

langage aussi amer, expliquer cette autre déclaration : « Il est infâme, insensé, inique de couper par dépit personnel le pont qui nous permet de nous rapprocher de la Russie ! » Il est vrai que le chancelier allemand a émis plus d’une déclaration contradictoire et s’est peu soucié, en plus d’une occasion, de respecter la vérité et la logique.

Bismarck préconisait bien l’alliance austro-allemande, mais, avec sa défiance habituelle et sa connaissance des hommes, il ne perdait jamais de vue la possibilité d’être abandonné un jour ou l’autre par la politique viennoise. Il faisait l’éloge de la Triple Alliance et il ajoutait presque aussitôt, en diplomate désabusé : « La politique internationale est un élément fluide qui, par intervalles et suivant les circonstances, se solidifie, mais que les changements atmosphériques ramènent à son état primitif… La Triple Alliance est une position stratégique. A l’époque où elle fut conclue, elle devait nous prémunir contre les dangers iinminens… Elle a été prolongée à diverses reprises et peut-être réussira-t-on à la prolonger davantage. Mais, — et ici reparaît le scepticisme de ce grand manieur d’affaires, — une durée éternelle n’est assurée à aucune convention entre les grandes Puissances, et il serait peu sage de vouloir toujours regarder cette alliance comme la seule base solide de toutes les combinaisons possibles qui, dans l’avenir, pourront modifier les situations, les besoins et les dispositions des esprits… Elle ne saurait former une base inébranlable et éternelle et ne nous dispense pas d’être toujours en vedette. » Ces derniers mots doivent être retenus par tous ceux qui ont l’ambition de diriger leur pays et de se dire des hommes d’Etat.


C’est bien ce que pensait alors la France, et, devant les manœuvres de M. de Bismarck qui ne cessait de la surveiller, elle cherchait, elle aussi, à être vigilante et à prendre toutes ses précautions. Les stipulations de l’accord franco-russe, si importantes qu’elles fussent, n’atteignaient pas encore, de l’avis de M. de Freycinet, le but voulu. « Elles prescrivaient, dit-il, l’action en commun, mais elles n’en réglaient pas le mode et les conditions. Elles appelaient un complément logique, c’est-à-dire une convention militaire dont M. Ribot avait eu soin de faire accepter le principe. » A la fin d’août 1891, M. de Freycinet