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qu’au goût de son siècle, a dit profondément La Bruyère, songe plus à sa personne qu’à ses écrits. » Le soin de se montrer agréable et de se voir recherché fut toujours l’unique souci de Moncrif. A l’image de son œuvre frivole, sa mémoire s’est dissipée comme une fumée légère.

Ajoutons que ses mœurs n’étaient rien moins qu’exemplaires. La morale ne compta jamais, au nombre de ses farouches gardiens, le pilier de toutes les coulisses de théâtre, le client assidu de Procope et de Gradot, le joyeux convive des dîners du Bout du Banc, le bambocheur impénitent du Caveau, l’épicurien endurci, qui mena sa vieillesse couronnée de roses à la manière d’Anacréon et mourut, entouré des plus jolies actrices de Paris, se relayant à son chevet.

Avec tous ses défauts et ses tares, ou bien plutôt même à cause d’eux, d’abord parasite sans dignité, toujours prêt aux louches complaisances, puis amuseur de bonne compagnie, avant de parvenir à la fortune et aux emplois, cette façon de Triboulet sans livrée, inventeur de gaudrioles et de turlupinades, acteur ingénieux, madrigalier flatteur, est cependant figure intéressante à étudier, éminemment représentative d’un siècle épris de plaisir, ennemi du rigorisme, où les artifices de l’esprit et les suffrages de société étaient un plus sûr passeport vers la faveur et le succès que l’indépendance du talent et la fierté de caractère.

Moncrif plus encore que beaucoup d’autres, ses rivaux en dextérité mondaine, sut tirer profit des avantages que lui avait départis la Fortune. Il serait injuste de lui en garder une excessive rigueur, comme il serait déplacé de faire à son sujet le procès de son temps. Constatons de préférence, sans moraliser hors de propos, qu’il sut merveilleusement s’adapter aux conditions dans lesquelles il se trouva placé, au milieu très spécial où il dut évoluer. Il n’y a point de sa faute, après tout, si, à ses débuts, le métier d’écrire était médiocrement enviable et réclamait, des audacieux qui l’entreprenaient, une diplomatie compliquée, mêlée de souplesse et de renoncement.


Malgré les illustrations de l’époque précédente, rien de moins honoré, au commencement du XVIIIe siècle, que la profession d’homme de lettres.