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profondément ignoré, tout membre qu’il ait été de l’Académie des inscriptions, si, pour avoir parodié Zaïre, il n’eût encouru les foudres de Voltaire, et les victimes de Voltaire sont assurées d’une manière de gloire posthume, impérissable et fâcheuse.

En revanche, l’auteur des Macchabées, d’Hérode et autres drames sacrés, avait les plus brillantes relations. Secrétaire du duc d’Aumont, il exhiba son protégé à l’hôtel du Marais.

Louis-Marie-Victor, troisième duc d’Aumont, était un seigneur magnifique et violent, connu pour sa fureur de dépenses et la fougue impétueuse de ses passions. Saint-Simon l’a silhouetté magistralement : « M. le duc d’Aumont était d’une force prodigieuse, d’une grande santé, débauché à l’avenant, d’un goût excellent, mais extrêmement cher à toutes sortes de choses : meubles, ornemens, bijoux, équipages… Il prenait à toutes mains et dépensait de même. C’était un homme de beaucoup d’esprit, mais qui ne savait rien, à paroles dorées, sans foi, sans âme, de peu de réputation à la guerre pour en parler sobrement. »

Ce colosse robuste et sanguin adorait les bons mots et prisait fort la gaudriole. Moncrif le servit à souhait en petits vers et galanteries de toute espèce : odelettes, impromptus, épigrammes, triolets, refrains et madrigaux divers.

En peu de temps, le malicieux amuseur réussit à se rendre indispensable. Le duc ne pouvait plus se priver de ses facéties. Quand il reçut, en 1713, l’ambassade d’Angleterre, il voulut l’emmener avec lui.

Désormais, cette digne Mme Moncrif pouvait vieillir tranquille ; la fortune de son benjamin était en bonne route !

La mission de M. d’Aumont ne fut pas heureuse. L’hôtel Powis dans Great Ormond street, où il avait fixé sa résidence, brûla. Il en coûta 1 500 000 livres à la cassette royale pour cet incendie à dessein provoqué, clabaudaient les médisans. Au bout d’un an, le duc fut rappelé et regagna Versailles, toujours escorté de Moncrif, qui revenait garni de « mille gentillesses britanniques » et colportait partout cent histoires moqueuses sur les ridicules et les singularités des Anglais.

À ce jeu de brocards, il distrayait fort un auditoire aussi frivole qu’ignorant. On se le disputait pour entendre ses anecdotes et ses parodies d’outre-Manche.

Le duc, sa faveur sombrée dans l’aventure et ses finances