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en désarroi, se voyait bientôt réduit à modérer son train. Moncrif sentait avec inquiétude s’amonceler les signes indicateurs d’une débâcle prochaine. Ce jouisseur aimable n’était pas et ne fut jamais l’homme des grands sacrifices et des beaux dévouemens. Il n’hésita pas longtemps à quitter un protecteur désormais incapable de lui assurer les douceurs de la vie.

Tant de soins consacrés à divertir d’opulentes maussaderies ne l’avaient pas été en pure perte. Son renom s’étendait, plusieurs grandes maisons lui dispensaient à l’envi une généreuse hospitalité.

A la cour morose, austère et renfrognée de Louis XIV, avaient succédé les frairies de la Régence. Tout appartenait au plaisir, sinon à la débauche. Mme de Parabère est « sultane reine. » La joyeuse bacchanale du XVIIIe siècle commençait., Moncrif, dans cette ambiance de fêtes, se trouve dans son élément d’élection. Il est l’allègre meneur des réjouissances, le convive désiré, le piment de tous les soupers. Certaine nuit, il rencontra les frères d’Argenson, vite séduits comme à l’ordinaire par son bagout et sa belle humeur. En eux il discerna l’appui solide sur lequel étayer sa fortune. L’événement ne démentit pas sa clairvoyance, le patronage amical des deux frères, qu’ils devaient lui continuer pendant plus de trente ans, allait définitivement assurer sa réussite et lui ouvrir l’accès des sinécures dorées. Client des d’Argenson, l’un et l’autre appelés aux plus hautes charges du royaume, guidé, soutenu, protégé, porté par eux, Moncrif va devenir un personnage influent et considérable.

Le jeune comte d’Argenson surtout, déjà lieutenant de police en survivance paternelle, brillant, spirituel, dissipé, courtisan consommé, « d’Argenson la chèvre, » comme on l’avait baptisé, se plut dans la société d’un compagnon si bien accordé à ses goûts. Bientôt il le choisit pour secrétaire.

Nous sommes renseignés sur le genre de services que lui rendit Moncrif. Son frère, le marquis, le « rêveur, » le « philosophe, » « d’Argenson la bête, » témoin très attentif, sinon désintéressé de son temps, nous fixe abondamment à cet égard.

Ils sont en effet d’un ordre bien spécial et propres à forcer l’intimité des gens.

« Mon frère ayant fait un voyage en Touraine, fit une connaissance particulière et intime avec une demoiselle de cette