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division de sons, que nous appelons tons ou sémi-tons, et nous sommes assez bornés nous-mêmes pour supposer que cette même division comprend tout ce qui peut être appelé musique. Les Egyptiens étaient plus éclairés sans doute ; ils savaient qu’un son n’est ni juste, ni faux en soi, et que presque toujours il ne paraît l’un ou l’autre, que par l’habitude que nous avons de juger que tel assemblage de sons est une dissonance ou un accord. De là ce qui ne nous semble qu’un bruit confus, un charivari, n’est que l’effet de notre ignorance, un manque de délicatesse dans nos organes, de justesse et de discernement. »

Certaine critique musicale d’avant-garde ne répudierait pas aujourd’hui les opinions aventureuses exprimées, à y a deux cents ans, par Moncrif.

Après si docte préambule, l’avocat des chats continuait de « dévoiler leurs fastes. » Leur attribuant, à la façon du Bonhomme, des sentimens humains, il tirait prétexte à mille galanteries de leurs vertus piquantes et de leurs vices aimables. Saillies, pointes, concetti, boutades, malices de toutes sortes pétillent à plaisir ; le madrigal aussi fait rage et souvent l’anecdote gaillarde, propre à faire rougir sous le fard les belles à grands paniers.

Tant de mérites si différens assurèrent le plus flatteur succès à l’éloge de Mistigris. A la longue toutefois, après s’être bien diverti, par un revirement de caprice, on commença de brocarder l’auteur, et quelque ridicule en rejaillit sur sa personne. Le surnom d’« historiogriffe » lui resta, qu’avait décerné d’Argenson. « On m’assure, écrira plus tard Voltaire au comte d’Argental, que Moncrif a été nommé examinateur de l’histoire de Russie ; l’auteur des Chats n’est pas trop fait pour juger Pierre le Grand ; il y a loin de sa gouttière au Volga et au Jaïk. »

Le plus acharné de tous les médisans fut le poète Roy, un assez triste drôle. Cette fois, Moncrif harcelé d’épigrammes scandaleuses se fâcha.

Il attendit son railleur au sortir du Palais-Royal et le bâtonna copieusement. Roy avait les reins éprouvés à ce genre d’aventures. A chaque coup, il répétait, tendant le dos : « Patte de velours, Minet ; patte de velours, Minon-Minet ! »

Jalousie de faquin exaspérée par le bonheur d’un rival ! Moncrif n’en renonça pas moins à réimprimer les Chats, qui ne figurent plus qu’après sa mort, dans les éditions de ses œuvres complètes.