Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/363

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bientôt d’ailleurs, il allait connaître d’autres attaques, lorsque le patronage de Clermont, son nouveau protecteur, le guiderait jusqu’à l’Académie Française.


III

C’est une curieuse et déconcertante figure, devant qui hésite le jugement de l’histoire, que celle du comte abbé de Clermont, « moitié plumet, moitié rabat, » à la fois homme d’église et soldat, ardent, chevaleresque, frivole, voluptueux et brave, dont on a pu justement écrire qu’il réunit en sa personne « une quintessence d’abus et comme une synthèse de vices sociaux. »

Arrière-petit-fils du Grand Condé, né du mariage de Louis III de Bourbon et de Mlle de Nantes, Louise-Françoise, légitimée de France, fille de Louis XIV et de Mme de Montespan, il n’est pas complètement indigne de son glorieux ancêtre, intrépide au feu comme lui, fier, spirituel, bienveillant aux lettres, ami fidèle et sûr, malheureusement aussi effréné dans ses plaisirs, amoureux de la débauche, prompt au découragement et d’une désolante faiblesse de caractère, supérieur néanmoins à ses frères, en dépit de ses tares, ni louche tripoteur de fonds publics, comme le duc de Bourbon, ou brutalement scélérat comme le comte de Charolais.

Nous n’avons pas à retracer ici la tumultueuse existence de l’opulent prébendier de tant de mitres et de crosses. : Bec-Hellouin, Saint-Claude, Châalis, Marmoutiers, Saint-Germain-des-Prés, du « Général des Bénédictins, » stratège malheureux de Crefeld, que, par dérogation spéciale, le pape Innocent XII avait autorisé à porter les armes, de l’« Épicurien de la décadence, » qui, avant de finir dans la dévotion, gaspilla joyeusement trois cent mille livres de bénéfices ecclésiastiques aux mains prodigues de la Quoniam, de la Camargo et autres « gigoteuses ou croqueuses d’entrechats. »

A l’époque où, par la grâce de Mme de Bouillon, l’heureux Moncrif se faufilait ainsi dans la maison du prince, celui-ci commençait à peine à parcourir le cycle de ses avatars successifs et contradictoires.

C’était, en cette année 1729, un jeune homme de vingt ans fort débridé de conduite, fougueux, exalté, infatigable au plaisir par surcroît féru de théâtre et de bel esprit.