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en Europe. Le monde savant à qui se révélaient les enseignemens ésotériques du Bhâgavad Gita dissertait sur l’anicca et l’anatta, ces états préparatoires à la sublimité du Samahdi. Ces doctes controverses étaient venues jusqu’à l’académicien Moncrif. La matière lui parait nouvelle et riche, son esprit subtil saisit l’occasion d’en tirer parti.

Nous n’entreprendrons point de raconter par le détail les étonnantes aventures d’Amassila, princesse de Malléani, du prince Mazulhim et de son odieux rival Sikandar, dont les âmes avaient reçu de Brama le dangereux privilège de se désincarner à leur gré. La fantaisie de Moncrif s’est donné la carrière aventureuse, bien qu’un peu monotone. Mais, parce qu’il expose, assez confusément d’ailleurs, la théorie du Corps Astral, qu’ont depuis amplifiée spirites et théosophes, il nous semblerait injuste de ne point saluer en lui un précurseur ignoré de nos modernes conteurs fantastiques et de refuser à sa mémoire ce modeste laurier.

Toutefois, son œuvre de prédilection à cette date, celle qu’il polit avec amour, sur quoi il compte, pour établir définitivement son prestige d’écrivain, est son Essai sur les nécessités et les moyens de plaire, dans lequel il tente de rédiger en corps de doctrine l’art complexe et délicat où il excelle.

On se tromperait fort, malgré la grivoise réputation de l’auteur, si l’on cherchait dans son livre les anecdotes dévergondées, les coq-à-l’àne graveleux, les digressions épicées qui remplissent le Moyen de parvenir d’un Béroalde de Verville.

Moncrif prend tout à fait au sérieux son rôle de moraliste. Il professe, il dogmatise ex cathedra.

Son but ambitieux est de concilier les prescriptions de la morale avec les devoirs sociaux de l’individu. Dame Raison, si chère dans la suite aux penseurs du siècle, fait ici une apparition anticipée. Il enseigne que l’homme n’est pas quitte envers ses semblables, en satisfaisant seulement à leurs droits naturels, mais qu’il a, par surcroît, des devoirs de sociabilité à remplir, qui seuls permettent d’apprécier les vertus de l’âme et les dons de l’esprit.

Il est donc nécessaire de chercher à plaire. Nul n’est affranchi de cette obligation, les grands, ni même le Prince. Or, « éclairé par la raison, » le désir de plaire devient le plus sûr moyen d’y parvenir. A l’analyse, il se révèle « un sentiment que nous