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inspire la raison et qui tient le milieu entre l’indifférence et l’amitié, une sensibilité aux dispositions que nous faisons naître dans les cœurs, un mobile qui nous porte à remplir avec complaisance les devoirs de la société. » C’est encore « une force qui, dans les changemens de notre humeur, nous retient en nous opposant à nous-mêmes, et une attention naturelle à démêler le mérite d’autrui et à lui donner lieu de paraître. »

En courtisan de carrière, Moncrif insiste à bon escient sur cette suprême habileté, puis il passe en revue les différens moyens de plaire, excellente leçon de conduite mondaine : « Pour réussir, il faut deux espèces de talens : ceux que nous tenons de la Nature et que nous ne pouvons nous donner, la taille, la figure et le son de voix agréable, l’esprit naturel, facile, aimable et gai. Quand on ne possède pas ces avantages, il faut se procurer une amabilité factice ; elle ne vaut jamais celle véritable et pour ainsi dire innée ; mais enfin elle vaut mieux que rien ; elle est étudiée, mais du moins faut-il l’empêcher de sentir l’étude. Insensiblement, la pratique s’en forme et on se fait une douce occupation de perfectionner ces avantages acquis. »

Complétant ses avis, le Mentor de la flatterie pratique signale les écueils à esquiver. Il faut « se garder de l’air dédaigneux et du ton méprisant, » éviter la contradiction, l’inégalité d’humeur, haïr surtout « l’esprit caustique, qui est affreux et déplaisant et nous empêche d’être aimé. »

Se haussant ensuite à l’emploi d’éducateur, Moncrif examine « l’instruction qu’on doit donner aux enfans afin de développer en eux le désir de plaire. » Il se révèle curieusement imprégné des idées de Locke dans ses Pensées sur l’Éducation, qu’il cite à tout propos et même hors de propos. C’est pour nous la partie la plus intéressante de son œuvre, que ce manuel de la parfaite éducation mondaine aux environs de 1736, et d’une suggestive comparaison, pour l’histoire des idées, avec la méthode et les principes que Jean-Jacques promulguera vingt-cinq ans plus tard dans l’Emile.

L’académicien-secrétaire n’a point les illusions optimistes de Rousseau. L’homme n’est pas originellement bon, et son pédagogue ne se contente point de servir d’intermédiaire entre l’élève et la nature. Les enseignemens qu’il prodigue sont d’ordre infiniment plus positif.