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personne du Prince, eut recours à Mme la Duchesse, afin d’empêcher son fils de faire une sottise… Que l’on juge de la délicatesse d’une telle manœuvre ! Il est certain que Moncrif, rentrant un soir chez son prince, trouva chez le suisse un ordre formel de ne plus approcher de la maison. »

C’est donc par dévouement à son maître que Moncrif se serait laissé entraîner à une démarche désastreuse, car on ne doit pas non plus accorder grand crédit à l’explication égrillarde suivant laquelle il se montra « trop ardent » envers la Camargo, qui succédait à Mme de Bouillon et, comme Tithon lui-même, aurait auprès d’elle, en un jour, vieilli de plusieurs lustres.

Sa disgrâce réjouit nombre de gens. Les envieux ne manquaient pas à ses ascensions progressives et croyaient bien enregistrer une chute sans retour. Avec sa finesse désenchantée, d’Argenson nous indique encore les pourquoi bien humains de cette hostilité : « On l’aimait peu à cause qu’il lui fallut passer par plusieurs gradations de la misère et du bas étage à la bourgeoisie renforcée, de là aux gens de condition, puis aux plus grands seigneurs et princes, et ayant obligation aux premiers de ces degrés de l’avoir admis et produit plus haut, s’y étant montré courtisan assidu et passionné de plaire, il lui a fallu négliger ceux qu’il avait ainsi cultivés d’abord, ce qu’ils ont pris en grande insulte. Alors l’amour-propre étant intéressé vivement, on cherche à mépriser grandement et à dénigrer celui qu’on croit qui nous méprise. »

Mais les jaloux, cette fois encore, devaient en être pour leur attente charitable. Pareil à ses amis les chats, Moncrif savait toujours se retrouver d’aplomb. A l’instant qu’on le croyait à terre, il allait par soudaine fortune surgir plus haut encore. A peine avait-il quitté le service de Clermont, que la duchesse de Luynes, l’intime amie, l’inséparable de Marie Leczinska et la première dame de sa Maison, le faisait agréer comme lecteur ordinaire.


IV

Lecteur de la Reine ! La place était d’importance, son titulaire un homme à ménager, voire à redouter.

Officiellement, l’emploi peut sembler sans conséquence, une sinécure de cour insignifiante et dorée ; en réalité, il procure à