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celui qui le détient une influence considérable et sans cesse exercée.

Par les devoirs mêmes de sa charge, l’heureux bénéficiaire approche constamment Sa Majesté. Dans l’intervalle des lectures, quand il s’interrompt de lui distraire l’oreille, il peut glisser la recommandation adroite, l’ingénieuse louange, insinuer le blâme, colporter la médisance. Comment donc, en une société fondée sur la faveur, ne point tout attendre ou tout appréhender de qui peut, à son gré, souffler au monarque l’éloge et la critique ?

Au moment où Moncrif se voyait attaché à sa Maison, Marie Leczinska ne possédait plus, près de son volage époux, le tout-puissant empire autrefois exercé aux premiers temps de son heureuse union. Les années d’abandon commençaient.

Après la tendre et discrète Mme de Mailly, sa sœur, la comtesse de Vintimille, entreprenante, altière, vindicative, continuait la série des favorites qui devaient occuper toute la suite du règne et ruiner dans le cœur de son peuple la tenace affection si longtemps portée au Bien-Aimé.

Marie, cependant, s’était résignée ; sa correspondance avec son père nous fait assez connaître au prix de quelles douloureuses révoltes. Désormais retirée dans ses « petits cabinets » de Versailles, au milieu de ses objets familiers, de ses chers souvenirs de Pologne, elle vit une existence paisible, intime, d’où toute représentation est volontiers exclue. Ayant renoncé à l’amour, elle veut du moins s’entourer d’amitiés.

A trente-huit ans, ce n’est plus la souveraine en pompeux apparat, naguère entrevue par Tocqué, mais déjà la calme bourgeoise, apaisée, souriante, du portrait de Van Loo, coiffée en papillon noir d’une fanchon de dentelles, habillée de grisailles ou de velours éteint.

Bonne, de cette attachante bonté qui connaît la vie et naît de la souffrance, ses journées sont très remplies, « elle est toujours gagnée par le temps. »

Les matinées se passent en prières, en lectures morales, mais surtout les œuvres l’absorbent. La charité de la « bonne Reine » est inépuisable. Elle contribue, nous dit M. de Nolhac, à toutes les fondations bienfaisantes de l’époque. Elle aide le curé de Saint-Sulpice, M. Languet, à créer la maison de l’Enfant-Jésus, elle soutient les filles de Saint-Vincent de Paul, donne pour les