Le Roi lui-même se livrait parfois à des plaisanteries aussitôt relevées avec esprit :
— Savez-vous bien, Moncrif, dit-il un jour, qu’on vous donne quatre-vingt-dix ans !
— Oui, sire, mais je ne les prends pas, riposta l’interpellé.
Vers la fin de 1770, cependant, l’allègre vieillard dut s’aliter.
Un ulcère aux jambes s’était déclaré et le mal s’aggrava rapidement. « Nous avons bien des académiciens qui menacent ruine, note d’Alembert : l’abbé Alary, le président Hénault et Paradis de Moncrif qui sera tout à l’heure Moncrif de Paradis. »
La situation, en effet, fut bientôt désespérée. Dans ces redoutables conjonctures, face à face avec la mort, l’épicurien voluptueux, auquel la vie avait été si douce, fit preuve de tranquille courage et de sereine résignation, soignant jusqu’au bout le décor d’une fin « en beauté. »
« Il languissait depuis deux mois, les jambes ouvertes, rapporte Bachaumont ; comme il avait quatre-vingt-deux ans et au-delà, il n’a pas douté que son terme approchât, mais il l’a envisagé en vrai philosophe. Il s’entretenait de ce dernier moment avec beaucoup de présence d’esprit et sans aucun trouble. Il a ordonné lui-même les apprêts de ses funérailles. Après avoir satisfait à l’ordre public et aux devoirs du citoyen, il a voulu semer de fleurs le reste de sa carrière ; il a toujours reçu du monde : accoutumé à voir des filles et des actrices, il égayait encore ses regards du spectacle de leurs charmes. Ne pouvant plus aller à l’Opéra où il était habituellement, il avait chez lui de la musique, des concerts, de la danse ; en un mot, il est mort en Anacréon, comme il avait vécu. »
Moncrif avait rendu l’âme le 12 novembre. Ce jour-là, Momus et son turbulent cortège durent prendre le deuil.
Le sieur de La Place, poète tragique et traducteur de Shakspeare, qui s’humanisait à ses heures, lui tourna en guise d’adieu cette épitaphe-madrigal :
Réalisant les mœurs de l’âge d’or,
Ami sûr, auteur agréable,
Ci-gît qui, vieux comme Nestor,
Fut moins bavard et plus aimable.
Deux mois plus tard, en vertu sans doute de la loi des contrastes, l’Académie Française choisissait, pour successeur au