Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/412

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

formule de Servet, en niant cette préexistence, mettait en péril cette divinité. Servet avait pour lui, — on le voit aujourd’hui par un simple coup d’œil sur les églises réformées, — le protestantisme de l’avenir, mais Calvin eut pour lui le protestantisme de son temps. De Berne, de Zurich, de Schaffhouse, on prit parti pour lui contre Servet. Bolsec naguère avait presque réussi à mettre la théologie calvinienne en conflit avec celle des villes voisines ; mais aujourd’hui, par une façon de plébiscite théologique, les pasteurs de toute la Suisse, sans se prononcer sur le châtiment dû à Servet, accentuaient l’hommage dû à Calvin.

Les efforts mêmes, si discrets fussent-ils, que firent Perrin et ses amis pour sauver Servet, tournèrent contre eux ; il y avait à Genève une « peste, » une « monstruosité, » dont il fallait à tout prix délivrer la terre. Cette peste, c’était Calvin qui l’avait sentie, dénoncée, et bien que ses partisans fussent en minorité dans le Conseil, le Conseil, par crainte du Ciel, sévit comme le voulait Calvin. Une femme de Ferrare qui, prise de pitié, plaignait Servet, eut à quitter la ville dans les vingt-quatre heures, sous peine d’avoir la tête tranchée. Deux écrits retentissans, signés l’un de Calvin, l’autre de Bèze, soutenaient théoriquement, non seulement pour l’heure de crise qu’on traversait, mais pour l’avenir, et non seulement pour Genève, mais pour tous les Etats protestans, pour l’Angleterre, pour la Navarre, le droit de sévir contre les hérétiques. Les réfugiés français et italiens de Baie, Castellion en tête, protestaient inutilement : le calvinisme officiel faisait de l’intolérance un dogme. Genève enfin était éduquée ; elle avait cessé de trouver mauvais que Calvin fût dur, et qu’il s’affichât tel, et qu’il fit au nom de Dieu l’apologie de sa dureté ; pouvait-on pleurer Servet, puisque la flamme qui montait de son bûcher conjurait la colère de Dieu ?

Du jour au lendemain, l’ascendant de Calvin fut consolidé : en 1554, ses partisans rentraient en majorité dans le Conseil ; en 1555, les luttes suprêmes de Berthelier contre le droit d’excommunication du Consistoire aboutissaient à la victoire définitive de Calvin. Il était décidé que ceux qui, privés de la Cène, auraient laissé passer un an sans la redemander, seraient jetés hors de la ville. Calvin avait gagné la partie, après l’avoir à certaines heures crue perdue ; et comme il identifiait sa cause et la cause de Dieu, il sentait Dieu vainqueur. Songeant tout de