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suite à augmenter le chiffre du peuple de Dieu en y adjoignant des réfugiés qui dans la vie publique voteraient certainement avec lui, c’est-à-dire avec Dieu, il fit créer, du 16 avril au 19 mai 1555, soixante nouveaux bourgeois ; il se mettait à susciter, ainsi, des fournées de bourgeois, comme, à d’autres époques, les souverains feront des fournées de pairs. Il fallait accroître, dans Genève, la majorité fidèle à Dieu.

Mais les adversaires se rebiffaient encore, des échauffourées eurent lieu : Calvin, alors, dénonça l’existence d’un complot. Une justice exceptionnelle et sommaire fut mise en branle. Perrin, BertheIier, quelques autres s’évadèrent à temps pour éviter d’être « coupés en quatre quartiers ; » mais les frères Comparet, Claude Genève, un autre Berthelier, durent porter leur tête au bourreau. « Nous verrons avant deux jours, j’espère, écrivait Calvin à Farel, ce que la torture leur arrachera. » Les malheureux eurent affaire à un bourreau maladroit : les deux têtes des deux Comparet furent lentes à se détacher. On avait besoin, dans la Genève d’alors, qu’un tel fonctionnaire, outil de Dieu, sût bien son métier. Le Gouvernement le bannit, mais Calvin, lui, jugeait autrement des choses. Bien qu’en d’autres circonstances il eût prié les Conseils de ne pas faire languir par des raffinemens de souffrance les condamnés à mort, il estima cette fois que, si les mains in expertes d’un boucher avaient lamentablement abîmé les chairs pantelantes de deux criminels, c’était parce que Dieu voulait aggraver la pénalité prononcée par les hommes. Du haut de la chaire de Saint-Pierre, il s’écriait :


Dieu met toutes les villes en ruines si son honneur y a été violé. Et ainsi, cognoissons qu’il n’est plus question de nager entre deux eaux, comme on a de coustume, si on veut garder la religion en son entier, mais que les sacrilèges, c’est-à-dire les outrages qui se font à la majesté de Dieu doivent être punis. Si on cognoist et que nature enseigne, que les larrecins et meurtres et brigandages et tous pillages ne soyent point à supporter ; que sera-ce quand le nom de Dieu sera blasphémé, qu’on aura perverti toute religion, qu’on falsifiera la pure doctrine pour débaucher le peuple et rompre l’union de foy ? Oh ! il ne faut point dissimuler & cela, car ce sont crimes par trop énormes.


La crainte de Calvin devenait ainsi, pour Genève transfigurée, le commencement de la crainte de Dieu. En 1556, cette crainte fit une dernière victime, Jésus lui-même. ; La foudre