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arrêté à Cheltenham, au sortir d’une conférence socialiste au cours de laquelle, questionné par un auditeur, il avait été amené à exprimer en termes assez violens son anticléricalisme, devant une salle plus amusée que révoltée, et dès le lendemain il est mené enchaîné à la prison de Gloucester ; le jury le déclare coupable, et il doit subir une peine de six mois de prison, avec régime des condamnés de droit commun. Avant M. William O’Brien, il refuse de revêtir l’uniforme des prisonniers ; il passe son temps à rédiger des réfutations aux traités religieux que le gouverneur du lieu lui fait, obligeamment passer, et c’est tout au plus s’il n’est pas mené de force à la chapelle le dimanche : étrange façon, en plein XIXe siècle, de convertir les gens !…

Libéré, il trouve sa famille dans le dénûment ; sa petite fille Madeleine venait de mourir, de faim, disait-on ; mais rien n’empêche le nouvel apôtre, consacré par la réclame et la prison, de reprendre plus que jamais, par la plume et la parole, sa propagande irréligieuse. Tout de suite il retourne à Cheltenham pour y recommencer une conférence qu’il a, dit-il, acquis le droit de prononcer, en ayant payé le prix. Dans tous les coins de l’Angleterre, il prêche l’anticléricalisme dans des discours, des réunions publiques, d’ailleurs souvent troublées. Il fonde des associations de libre-pensée, il fonde des journaux ou périodiques qui meurent, pour la plupart, peu de semaines après leur naissance et qu’il ne se lasse pas de ressusciter sous d’autres noms. Il publie nombre d’ouvrages antireligieux, aussi peu lus que peu lisibles. En 1853, il achète un fonds de librairie dans Fleetstreet ; il y édite et y vend toute une littérature « avancée » au point de vue moral comme au point de vue politique, et fait peu à peu, du front parlour de sa boutique, le rendez-vous londonien des « hérétiques » de toute espèce, anglais ou non, qui foulent le sol britannique.

Toute occasion lui est bonne pour manifester. Ayant perdu sa femme en 1884, il conduit le service en personne, faute de clergyman, et prononce lui-même le discours d’usage, au cours duquel il reproduit, d’après la Bible (au fait, lui en restait-il donc encore une ? ), les paroles de l’ange Uriel au prophète Esdras sur l’inconnaissable. Un certain jour, appelé à siéger comme juré, il refuse le serment préalable et se fait condamner à 25 livres sterling d’amende ; soutenu par Stuart Mill et par sir J. Trelawny, il organise une agitation en vue de la suppression du serment