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Au théâtre et dans le roman, quand on nous présente un grand savant, un grand artiste, un grand homme d’État, il est de règle que sa femme ne l’aime pas. Elle se plaint que son mari la néglige. Elle est jalouse de la science, de l’art, de la politique qui le lui enlève. Louise Donnat a pour mari un savant de génie, un héros du dévouement, qui de plus est un bon mari, homme d’intérieur et de foyer. Et elle ne l’aime pas ! Elle est difficile. Disons, à son excuse, qu’Albert Donnat est d’écorce rude, d’esprit sarcastique, d’humeur ombrageuse, et qu’il a le dédain de la femme. Il ressemble ainsi à presque tous les hommes du théâtre de M. de Curel. C’est un théâtre austère, un théâtre pour hommes, où la note de tendresse fait à peu près complètement défaut, d’où la grâce de la femme est absente. Nous en avons ici une preuve. Le rôle de Louise Donnat, du moins dans le premier acte, est particulièrement mal venu. Il est gauche et froid. Au moment où la catastrophe menace son foyer, l’homme qui est encore son mari, le nom qu’elle porte encore, cette femme songe à de petites histoires sentimentales ! Elle s’avise que Donnat, étant un spécialiste pour l’estomac, ne peut rien comprendre aux souffrances de l’âme et que celles-ci sont du ressort de la psychologie. Elle va chez Maurice Cormier qui est psychologue de profession, d’ailleurs beaucoup plus jeune que Donnat et mieux de sa personne. Ah ! que le moment est mal choisi ! Ah ! que cette femme nous paraît être un pauvre esprit de femme, un cœur sec, une âme médiocre et qu’elle fait peu d’honneur au sexe devant lequel nous aimons à nous agenouiller !

Son complice, Maurice Cormier, est le type de savant que M. de Curel oppose à Donnat. Il le traite avec une extrême sévérité. D’abord il prête à l’homme un rôle odieux. Cormier est l’intime ami de Donnat qu’il considère comme un maître et dont il admire les travaux. Il a l’absolue confiance du savant, qui le tient au courant de ses expériences les plus scabreuses et déposera chez lui ses notes les plus compromettantes. Et voici comment il agit vis-à-vis de celui que l’âge, le génie, le malheur devraient lui rendre sacré : ayant appris, par les bruits qui circulent dans le monde médical, que Donnat est à la veille de s’effondrer, c’est le moment qu’il choisit pour lui prendre sa femme ! Il tient que l’amour est une maladie, à laquelle un organisme déprimé est plus accessible qu’un autre : donc, il compte sur la dépression causée à Louise Donnat par l’épreuve qu’elle traverse, pour trouver chez elle moins de résistance. Il est cynique. Et M. de Curel n’est guère moins indulgent pour la prétendue science à laquelle se consacre ce psychologue, ou ce psychiatre. Il nous la présente, une