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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/457

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première fois, sous forme caricaturale, dans l’exposé qu’il en fait faire par le vieux préparateur Denis, un sinistre grotesque, le Laurent d’un autre Tartufe. On frissonne devant ces fantaisies barbares d’un expérimentateur qui endort ses malades pour les transformer à son gré en machines à pleurer ou à rire. On dirait les plaisanteries féroces d’un démiurge en délire. Mais expliquée par Maurice Cormier lui-même, la psycho-physiologie n’apparaît guère moins vaine et moins ridicule. Ce « cylindre recouvert d’un papier enduit de noir de fumée, » comme appareil à lire dans l’âme ne nous dit rien qui vaille. Son inventeur le promène à travers les casernes, les écoles, les usines, les hospices, et recueille ainsi des milliers d’observations. Il entasse les fiches sur lesquelles d’autres psycho-physiologistes en entasseront d’autres. Ainsi on peut espérer que, dans quatre ou cinq cents ans, la science de l’âme sera constituée. « Dans cinq cents ans, soupire Louise Donnat, on saura si j’ai une âme et comment la guérir, et c’est aujourd’hui que je souffre ! Voilà donc la science !… Mais le plus humble prêtre, auquel je raconterais ma douleur, trouverait des paroles bien autrement consolantes ! » Sans doute, mais c’est que le rôle du prêtre ou celui du savant n’est pas le même, et qu’en effet il ne faut pas demander à la science ce qu’elle n’a pas mission de donner. On pourrait très bien plaider la cause de Maurice Cormier, et ce serait, je crois, de toute équité. Chacun de nous ne connaît que sa souffrance, qui se limite à la brève durée d’une vie humaine : la science est une entreprise à longue échéance. L’ouvrier qui travaille à la construction d’un édifice dont il ne verra pas l’achèvement n’est ni risible, ni blâmable. Et comment méconnaître que cette collaboration impersonnelle à l’œuvre de l’avenir a sa grandeur ?

La scène qui met aux prises les deux savans, pour opposer deux conceptions de la science, est le morceau capital de toute la pièce et le plus significatif. Les individus disparaissent pour faire place à de nobles entités. Comme le théâtre antique faisait dialoguer le Juste et l’Injuste, la discussion est ici entre la science positiviste et la science idéaliste. Elle abonde en vues de toutes sortes et qui elles-mêmes appelleraient toute une discussion. L’idée essentielle en est qu’on peut être un bon ouvrier de la science, mais qu’on n’est pas un savant, surtout un grand savant, si on ne lève pas quelquefois la tête au-dessus de sa besogne et si on ne jette pas vers le ciel un regard d’angoisse en y cherchant Dieu. Ce Dieu, la raison n’en prouve pas l’existence ; mais la raison n’est pas le tout de l’homme, elle n’est pas notre seul moyen d’investigation. « J’ai une imagination, j’ai un