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cœur, mon être est relié au monde par toute une trame frissonnante qui peut me renseigner mieux que ma raison. » Ici se place la comparaison célèbre avec les nénuphars qui tendent leurs têtes vers la lumière. « Vous, moi, tous les chercheurs, nous sommes de petites têtes noyées sous un lac d’ignorance et nous tendons le cou avec une touchante unanimité vers une lumière passionnément voulue… Si la nature a mis en nous cet instinct de vérité pour que cette vérité ne luise jamais à nos yeux, c’est une lâcheté de la nature. » Les larmes que le savant sent monter à ses yeux, ce n’est pas un égoïste attendrissement sur soi-même qui les lui fait verser. Elles traduisent l’angoisse métaphysique, celle de tous les chercheurs qui ont regardé en face l’éternel « Pourquoi ? » celle de tous les croyans que le doute vient torturer… Cette exaltation est celle d’un mourant. En effet, Donnat s’est inoculé le même mal dont sa victime va mourir. Ce châtiment que le mystique Donnat s’inflige, le réaliste Cormier ne le comprend pas ; mais Louise, avec son instinct de femme, le devine. Le cri de désespoir et d’amour qui lui échappe termine cet acte où, de scène en scène et de réplique en réplique, nous avons vu grandir l’image du savant idéaliste.

Le troisième acte appartient à Louise et à Antoinette, à l’épouse et à la religieuse. Devant l’expiation volontaire à laquelle s’est condamné son mari, Louise découvre que jusqu’ici elle l’a méconnu. Elle reçoit le coup de la grâce. Elle croit, elle est désabusée : l’admiration la conduit à l’amour. C’est bien, c’est très bien, et pourtant, même ainsi, elle ne nous touche pas. Jusqu’au bout le rôle reste ingrat. En revanche, celui de la petite religieuse est exquis, adorable de simplicité. Car, dès le début, elle a tout compris ; elle sait à quelle mort horrible l’a condamnée son sauveur. Et tout de suite elle a accepté le sacrifice : elle voulait consacrer sa vie aux malades ; elle la donne en gros au lieu de la donner en détail : cela revient au même. Au surplus, quand Donnat se posera tout haut cette question : « D’où vient ce quelque chose qui élève le plus humble au-dessus du savant ? » c’est elle qui répondra : « Du bon Dieu, monsieur. » Cette réponse naïve a été dite par l’actrice chargée du rôle, Mlle Bovy, avec une rare perfection de naturel. Il reste qu’elle a remué le public jusqu’aux entrailles. Et telle est la conclusion, vague et généreuse, à laquelle aboutit l’auteur. Ce savant ne partage aucune des croyances de cette pieuse fille ; cette femme a considéré ce savant, d’abord comme un étranger, puis comme un monstre : et pourtant, tous trois ils sont faits pour s’entendre ; ils sont de la même race, ils ont