Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/474

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

manière si touchante envers moi et envers ma maison régnante depuis des siècles. Pendant soixante-cinq ans, j’ai partagé avec mes peuples la tristesse et la joie, songeant toujours, même dans les heures les plus difficiles, à mes devoirs élevés, à ma responsabilité pour le sort des millions d’hommes dont j’aurai à rendre compte au Tout-Puissant. La nouvelle et douloureuse épreuve qu’il a plu à la décision insondable de Dieu de m’infliger, à moi et aux miens, affermira en moi la résolution de persister jusqu’à mon dernier soupir dans la voie reconnue la meilleure pour le bien de mes peuples, et, si je puis un jour transmettre à mon successeur le gage de leur affection comme un legs précieux, ce sera la plus belle récompense de ma sollicitude paternelle à leur égard. » Le témoignage que se rend l’empereur François-Joseph, arrivé près du terme de sa carrière, ne sera pas ratifié seulement par ses peuples, il le sera par toute l’Europe, et on lui saura gré d’avoir dit, avec l’accent que donne la paix du cœur, que l’abominable attentat qui, une fois de plus, a répandu la mort autour de lui, ne l’empêchera pas de persister jusqu’à son dernier soupir dans la voie où il s’est engagé.

Combien ces sentimens et ce langage sont éloignés des cris de haine et de vengeance qui se sont élevés dans une partie de l’opinion autrichienne à la nouvelle de l’attentat ! Et on ne s’en est pas tenu aux cris. Dès le premier moment, des attentats d’un autre genre ont eu lieu à Serajevo ; des maisons y ont été mises à sac ; la sécurité des Serbes y a été compromise ; en quelques heures, les ruines ont été accumulées. On n’a pas accusé seulement, comme l’a fait l’Empereur, « le vertige d’un petit nombre d’hommes induits en erreur ; » tout un peuple a été pris à partie et le crime odieux a été imputé à la Serbie tout entière. Certains journaux ont poussé des cris dont la férocité n’était pas moindre que celle des fanatiques de Serajevo. — À Belgrade ! ont-ils dit. Que ne nous a-t-on pas crus plus tôt ! Que n’est-on allé, depuis longtemps déjà, étouffer à son origine la conspiration contre l’Autriche qui s’arme aujourd’hui de la bombe et du revolver ! Il est temps d’écraser ce nid de reptiles ! — En parlant ainsi, ces journaux trahissaient leur propre conspiration. Ce n’est pas, en effet, la première fois qu’ils donnent le même conseil, et, si l’attentat de Serajevo leur a causé une indignation légitime, ils n’ont pas perdu une minute pour l’exploiter dans le sens de leurs passions. Par bonheur, l’opinion et le gouvernement serbes ont conservé tout leur sang-froid au milieu de la bourrasque dont leur pays était assailli ; la moindre faute de leur part, la moindre réplique un peu trop vive,