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auraient pu avoir les conséquences les plus graves ; mais la Serbie, qui a appris tant de choses depuis quelques années et a exercé sur elle-même une maîtrise si intelligente et si ferme, est restée silencieuse et digne, sans un geste, sans un mot propres à amener une riposte. Elle aurait eu tort d’ailleurs d’attribuer à son tour à l’Autriche-Hongrie elle-même l’injustice de quelques-uns. Après la tempête, le calme renaîtra. Mais l’épreuve de ces derniers-jours montre une fois de plus combien grande est l’erreur de croire, comme on le faisait si facilement autrefois, que les peuples sont des frères les uns pour les autres et que seuls les rois déchaînent entre eux la guerre. L’observation attentive des faits conduit à des conclusions tout opposées, et on se demande avec anxiété ce qui arriverait des peuples sans la sagesse et la modération des gouvernemens.

Après avoir fait toute la part qui convient à l’horreur provoquée par le double assassinat de Serajevo, après avoir cédé aux sentimens de pitié qu’il fait naître, on se demande quelles en seront les conséquences politiques, et on entre alors dans le domaine de l’hypothèse. En ce qui concerne l’ordre de succession en Autriche-Hongrie, il ne sera nullement troublé par l’événement : peut-être même sera-t-il plutôt raffermi. On connaît l’histoire romanesque de l’archiduc François-Ferdinand : il avait épousé par amour une femme intelligente, douée de toutes les vertus privées, digne de lui sous tous les rapports, et qui est morte courageusement à ses côtés, mais qui n’était pas de sang royal et dès lors, d’après la Constitution de l’Autriche, ne pouvait pas être impératrice. Les enfans nés de ce mariage n’étaient pas aptes non plus à succéder à leur père sur le trône impérial. Ainsi le voulaient les lois de l’empire, et l’archiduc François-Ferdinand avait juré de les respecter : c’est seulement à cette condition que l’empereur François-Joseph avait donné son consentement au mariage. On croyait assez généralement qu’une fois empereur à son tour, François-Ferdinand aurait fait tout ce qui aurait dépendu de lui pour être relevé de son serment, soit à Rome au point de vue religieux, soit à Vienne au point de vue politique. On voit tout de suite quelles difficultés seraient nées de cette situation. Et ce n’est pas tout : la Constitution royale de la Hongrie diffère sensiblement, au point de vue successoral, de la Constitution impériale de l’Autriche, de sorte que la femme de l’Empereur et roi aurait pu à la rigueur, si on l’avait voulu, être reine de Hongrie et que ses enfans auraient pu être admis à lui succéder sur le trône de Saint-Étienne. Que de complications en perspective ! Que de troubles peut-être ! Il n’en est plus de même avec le nouvel