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duc François-Ferdinand, qui était militaire, voyait moins bien l’utilité de ces ménagemens. Il aimait à couper le mal dans sa racine. Peut-être avait-il prévu que les ambitions italiennes et les ambitions autrichiennes se trouveraient fatalement un jour en opposition dans les Balkans. Peut-être aussi, dans son âme profondément et étroitement religieuse, éprouvait-il autre chose que de la sympathie pour un pays et un gouvernement qui avaient dépossédé le Pape de son pouvoir temporel. Quoi qu’il en soit, il ne passait nullement pour un ami de l’Italie. Autriche, Italie, on connaît la situation paradoxale de ces deux pays qui, ayant tant d’intérêts contraires, n’ont pas trouvé d’autre moyen de ne pas se battre que de conclure une alliance sous les auspices de l’Allemagne. Mais, au fond des cœurs, les sentimens restent soupçonneux et hostiles, et l’archiduc les éprouvait si vivement qu’il ne parvenait pas toujours à les enfermer en lui-même. Et ici la même question se pose encore : qu’aurait-il fait, s’il avait été empereur ? Rien peut-être ; il aurait continué la politique de son prédécesseur ; il aurait senti l’intérêt qu’avait l’Autriche à maintenir l’alliance et il l’aurait pratiquée avec correction. Les circonstances sont plus fortes que les hommes, même lorsqu’ils ont une volonté énergique, et tel était le cas de l’archiduc. Seulement, les rapports des deux pays auraient été encore un peu moins cordiaux, encore un peu moins confians que par le passé, et l’Allemagne aurait eu encore un peu plus de peine à faire marcher ce ménage à trois qu’on appelle la Triple Alliance. L’archiduc était donc peu aimé dans la Péninsule. Il faut d’ailleurs rendre à l’opinion italienne, telle qu’elle s’est manifestée dans la presse, la justice qu’à la mort du prince, sa tenue a été parfaite ; il n’y a eu de fausse note dans aucun journal ; l’horreur du crime l’a emporté sur tous les autres sentimens, et c’est le seul néanmoins qui se soit manifesté. Nous inclinons à croire que le correspondant de Rome au Journal des Débats st dans la vérité lorsqu’il écrit : « En apprenant la mort tragique de François-Ferdinand, l’opinion italienne s’est émue, puis elle s’est souvenue, elle a réfléchi, et à l’indignation se sont bientôt mêlés l’évaluation froide et le calcul avisé. Au Quirinal et à la Consulta, le deuil officiel : la douleur profonde était au Vatican. »

Mais à quoi bon se demander plus longuement ce qui aurait pu être, puisque cela ne sera pas ? L’archiduc François-Ferdinand a emporté dans la tombe le secret de sa destinée brusquement fauchée par la mort. Tout ce qu’on peut dire de lui avec assurance est qu’il avait de grandes vertus privées, que sa vie de famille a été exemplaire et