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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/48

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de s’y arrêter et poursuivirent leur route. Mais d’autres étaient survenus, qui se pressaient aux diverses issues du palais le long du quai ; curieux, bruyans, plus qu’emportés, ils ne faisaient entendre aucune provocation haineuse. La population de Paris n’avait pas encore oublié qu’elle avait voulu, acclamé, presque imposé la guerre et elle ne ressentait aucun courroux contre ceux qui n’avaient fait que suivre son impulsion. L’effroyable infortune de la souveraine, de l’épouse, de la mère lui inspirait de l’attendrissement, et, de ses profondeurs, on n’entendit pas sortir une seule fois le cri : « A bas l’Impératrice ! » « Si elle eût été rencontrée dans les Tuileries désertes, a écrit un des acteurs de la Révolution, elle n’eût couru aucun risque. Il n’est pas un de nous qui n’eut tenu à honneur de lui faire un rempart de son corps. » Néanmoins, tout rassemblement est inquiétant : les foules, semblables aux magasins de poudre, ne sont jamais plus tranquilles qu’une minute avant l’explosion, et elles contiennent toujours, embusqués dans leurs recoins, des bandits prêts à tous les crimes. L’entourage de l’Impératrice était très effrayé pour elle.

Elle avait déjeuné à l’heure ordinaire, entourée de sa maison, avec Lesseps à sa droite. Dans le salon d’attente qui précédait son cabinet, séjournaient les maréchales Canrobert et de Malakoff, Mmes de Saulcy, d’Aguado, de la Bédollière, de la Moskowa, de la Poëze, de Rayneval, de Bourgoing ; les chambellans de Banes-Gardonne, de Brissac, Lezay-Marnesia ; l’amiral Jurien de la Gravière, le général de Montebello, le marquis de Lagrange, le vicomte de La Ferrière, le comte de Castelbajac, Conti. La grande maîtresse, la princesse d’Essling, n’était point présente, parce que sa voiture avait été arrêtée sur la place de la Concorde et qu’elle avait été contrainte de rentrer chez elle. A une heure, la princesse Clotilde vint, selon sa coutume, demander des nouvelles. « Je vous remercie, lui dit l’Impératrice en l’embrassant, des bontés que vous avez eues pour moi, mais promettez-moi de partir au plus tôt. » Alors survinrent Nigra, Metternich, puis Jérôme David, Busson-Billaut, Chevreau et son frère. Trochu n’avait point paru : à ce moment même, sur la réquisition de Lebreton, il était en route vers le Corps législatif. Palikao n’était pas venu non plus. Occupé à se débattre à la Chambre contre les émeutiers, il avait été fort maltraité par eux et n’avait pu qu’à grand’peine