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multitude[1]. » Mais à quoi bon, maintenant ? Une patrouille de la garde nationale qui passait empêcha le choc. Appelée par Jurien, elle s’approche, disperse à coups de crosse les assaillans, et donne l’assurance que personne ne recommencera. Et c’est alors que Jurien, apercevant le général Schmitz venu aux renseignemens, lui affirme avec confiance que la souveraine était en sûreté.

L’Impératrice n’avait pas attendu le retour de Jurien. Elle était remontée dans la nouvelle salle des Etats et y avait enfin trouvé la clé de la galerie. Là elle congédia Conti et Conneau, auxquels elle recommanda de quitter leur uniforme et elle gagna le guichet qui donne sur la place Saint-Germain-l’Auxerrois.. Au moment d’y arriver, oubliant l’étiquette de cour, elle prend le bras de Nigra. — « N’est-ce pas, lui dit-elle, que je n’ai pas peur ? Voyez si mon bras tremble. Maintenant, ajoute-t-elle, il faut de l’audace. » La place, en effet, était garnie de peuple. Metternich s’avance et cherche une voiture, la sienne étant trop éloignée sur le quai. En ce moment même, un incident attire l’attention populaire vers l’église et rend la place libre. Deux fiacres passaient ; Nigra les arrête, pousse l’Impératrice dans le premier et veut y prendre place à côté d’elle. Mme Lebreton s’y élance avant lui et crie : « Boulevard Malesherbes ! » C’était l’adresse du conseiller d’État Besson. Nigra monte dans la seconde voiture et crie aussi : « Boulevard Malesherbes ! » Les deux voitures avaient fait à peine quelques pas qu’un gamin s’écrie : « Voilà l’Impératrice ! » Nigra saute de sa voiture, le prend à la gorge et lui dit : « Petit misérable ! ce sont deux dames de mes amies. Veux-tu te taire ! » Pendant ce colloque, la voiture de l’Impératrice filait. Nigra ne put plus l’atteindre, et, quand il arriva boulevard Malesherbes, il ne rencontra personne.

L’Impératrice y était descendue quelques instans auparavant, avait congédié son fiacre et demandé M. Besson. Il n’était pas chez lui. Elle l’attendit assez longtemps dans l’escalier, puis prit un autre fiacre et se rendit chez un autre ami, le marquis de Piennes. Il n’y était pas non plus. Alors Mme Lebreton jette au cocher le nom du dentiste Evans, dont l’hôtel, avenue de l’Impératrice, était en dehors de l’émeute. Les deux fugitives s’y rendent. Evans les reçoit avec empressement. Mais il attendait des convives à dîner et n’était pas libre tout de suite. Il pria

  1. Lettre du 24 septembre 1870.