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l’Impératrice de se retirer dans une chambre jusqu’à ce qu’il eût congédié son monde. Seule enfin, et pouvant s’abandonner à ses sentimens contenus par les plus effroyables angoisses, la malheureuse femme éclate en sanglots, tandis que dans la salle voisine s’élevaient les rires et les bruyans propos d’un repas d’Américains. Ce ne fut que dans l’excès même de son accablement qu’elle finit par trouver quelque repos.

Le matin, à cinq heures, elle quittait la maison hospitalière. N’ayant pas consenti, comme le docteur Evans le lui conseillait, à se rendre au Mont-Valérien, il la conduisit à Deauville, dans sa voiture tant qu’il le put, puis en voiture de louage. La route se fit sans encombre. A un relais, on entendit le postillon dire : « Il y a de bonnes nouvelles de Paris ; cette coquine d’Impératrice est chassée, et la République est proclamée. » Ce fut tout. Le 5 septembre au soir, on était à Deauville. Sir John Burgoyne, après quelques difficultés, consentit à transporter les deux fugitives en Angleterre. Elles s’embarquèrent dans la nuit et partirent le 6 au matin. La mer était démontée ; un navire, dans les mêmes parages, se perdit ; si celui qui portait la souveraine déchue avait sombré, nul n’aurait su ce qu’elle était devenue. Enfin elle débarqua à Ryde, d’où elle se rendit à Hastings.


Dans la matinée du 5 septembre eut lieu le départ de la princesse Clotilde.

Le prince Napoléon et le roi Victor-Emmanuel lui avaient envoyé, pour la ramener, le marquis Spinola. Elle avait consenti à mettre ses enfans en sûreté, mais elle s’était obstinément refusée à s’éloigner elle-même : « Je fais cela pour mes enfans, » avait-elle dit. Et comme on lui représentait les périls prochains auxquels elle s’exposait : « Crainte et Savoie, avait-elle répondu, cela ne va pas ensemble. »

Elle exprimait les mêmes sentimens à son père : « Il m’est impossible, lui écrivit-elle, d’abandonner Paris : mes frères, ma sœur agiraient comme moi. Je dois cette détermination à mon mari, à mon fils, à ma patrie d’adoption comme à ma patrie native. » Elle n’était pas pour rien une princesse de Savoie, et elle était certaine que son père approuverait sa résolution. Abandonner Paris en un pareil moment lui semblerait une honte, un déshonneur après lequel il ne lui resterait plus qu’à se cacher ; ni elle ni son fils ne pourraient plus revoir la France. En