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Voyons maintenant quelques incidens, quelques « à côté » intéressans.

« C’est d’abord la faillite des turbines, » m’écrit un de mes correspondans et non des moindres. Ces appareils, disait-on, sont essentiellement militaires parce qu’ils permettent de retrouver au combat la vitesse d’essai. Ce n’est point du tout ce que l’on a vu aux manœuvres. Le F*** par exemple, n’a pas pu tenir plus de 18 nœuds, — encore ne les a-t-il tenus que quelques heures, — alors que les cuirassés du type Patrie ont fourni, toute une nuit, 18 n, 5. Or les Patrie, de plusieurs années plus anciens que le V***, donnèrent à leurs essais plus d’un nœud de moins que ce bâtiment. On sait d’ailleurs depuis longtemps que la quantité de charbon dévorée par les cuirassés à turbines est effroyable, plus du double, aux mêmes allures, que celle que consomment les unités munies de machines alternatives. Il en résulte que, pour amener le combustible aux foyers des chaudières, le nombre des soutiers et chauffeurs reste très insuffisant et qu’il faut faire appel aux arméniens des pièces. Si l’on veut marcher vite on est désarmé ; si on veut être armé, il faut renoncer à marcher vite. L’alternative est fâcheuse au premier chef.

« Au reste, dit mon ami X***, ce grave inconvénient se retrouve, un peu plus, un peu moins, sur tous nos bâtimens[1]. Pendant toute la durée des opérations, le M*** (croiseur cuirassé à machines alternatives) a dû envoyer dans les chaufferies une moyenne de 60 hommes du pont. Son armement était, par-là, réduit de moitié. En temps de guerre, ce n’est pas 60 hommes de supplément, c’est 120 qu’il faudrait tenir en bas. Ce personnel ferait, comme celui des mécaniciens et chauffeurs titulaires, six heures de quart, suivies de six heures de repos. C’est dur ; il n’y serait pas rompu et, au bout de deux jours, nous l’avons vu, ces pauvres gens seraient à plat. Il faudrait les remplacer : autant ne plus parler d’armemens de pièces. Et dans quel état se présenterait au combat une armée qui aurait marché à bonne allure pendant quarante-huit ou soixante heures, ce qui, pour les mouvemens stratégiques, n’a rien d’excessif ?… Mon seul espoir est que les autres seraient aussi mal en point que nous !… »

Il ne faut jamais compter, à la guerre, sur des chances de

  1. En 1900, déjà, je faisais la même remarque. Voyez l’étude déjà citée, dans la Revue des Deux Mondes du 1er septembre 1900, page 163.