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Voilà justement ce qui m’a décidée à dire : oui, tout de suite, et à préparer mes paquets ! Le plaisir de suivre la Reine par-delà les monts n’aurait été qu’une satisfaction frivole ; mais la perspective de partager sa vie, de m’attacher à elle, si je peux, de lui appartenir, si elle veut, était autrement flatteuse ! Faite comme je le suis, je ne pouvais résister longtemps à cette séduction-là. A mes yeux d’ignorante, la Reine représente ce qu’il y eut de plus brillant et de plus éclatant dans tout l’Empire. D’abord la belle-fille de l’Empereur, puis sa belle-sœur, elle a fait à côté de lui l’ornement de toutes les cérémonies et de toutes les fêtes ; elle a régné sur la Hollande quand il était à son apogée ; placée dans son intimité constante, du commencement à la fin, elle l’a connu dans sa plus grande gloire… Oui, mais après ? Après, je ne sais rien d’elle ; mon admiration d’enfant est prise de court, et je m’aperçois que c’est peu de ne la connaître que comme souveraine et par la légende, au moment de l’aborder comme femme et de la servir.

Maman a entendu dire que la Reine dessine et chante, qu’elle s’habille et se coiffe à ravir : rien de plus. Papa, ce vieux républicain, se doit à lui-même de faire fi de tout ce qui m’intéresse. Il y a, dit-il, dans la vie des princes beaucoup de choses qui méritent d’être ignorées ; « quant au reste, on ne le connaît que trop. » Sur cette boutade, il consent à parler un peu de ce reste, et trouve alors dans sa sûre mémoire quelques dates que je grave aussitôt dans mon esprit. C’est en janvier 1802 que la Reine épousa Louis Bonaparte (elle n’avait alors que dix-neuf ans) ; en 1806, qu’elle monta sur le trône de Hollande ; en 1810, qu’elle en descendit. On l’appelle : la duchesse de Saint-Leu, depuis 1814 ; c’est là son nom d’exil. Ses fils Napoléon et Louis sont les seuls enfans qui lui restent, l’aîné, Napoléon-Charles, un instant désigné comme l’héritier de l’Empire français, étant mort du croup en 1807. Cela dit, mon père retourne à sa chimie et rentre dans son laboratoire, non sans m’avoir fait promettre de ne jamais reprendre la particule autrefois portée dans notre famille et volontairement abandonnée par mon grand-père à l’époque de la Révolution.


Inzigkofen, 29 septembre.

Inzigkofen est la résidence d’été du prince de Hohenzollern-Sigmaringen ; le Danube traverse le parc, dont la princesse a