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venait alors d’épouser une fort jolie créole que des relations de famille attiraient en France. Sur ces éclaircissemens donnés par Louise Cochelet à voix basse, je ne pouvais douter que ce ne fût lui qui accompagnât la charmante Mme Lindsay, mais il paraît que, dans une certaine société, les maris ne-sont pas là où sont leurs femmes. Le cavalier de Mme Lindsay était une connaissance d’Italie, M. Drovetti, devenu cet été pour elle un ami de Suisse.

M. Drovetti est un homme des plus distingués. Il était lieutenant-colonel dans l’armée d’Egypte ; il s’y signala doublement, un jour d’affaire, en sauvant la vie de Murat, et en recevant une blessure dont il a gardé la main mutilée. Ses autres services furent diplomatiques. Consul général au Caire jusqu’à l’an dernier, il y forma des collections magnifiques, dont la plus précieuse est aujourd’hui au musée Charles X, accumula les observations sur tous les sujets d’archéologie orientale et surtout acquit une prépondérante influence auprès de Mehemet-Ali. C’est à lui que l’on doit le crédit pris en Egypte par nos missions militaires et le rôle qu’elles y ont joué dans la réorganisation de l’armée.

Il s’est fait suivre ici de toute sa maison égyptienne et notamment de ses nègres Abyssins, des hommes gigantesques et, à la couleur près, fort beaux. On assure qu’il vient d’acheter à deux pas de la jolie Mme Lindsay une place à bâtir pour s’y fixer. « Je ne sais comment M. France d’Houdetot prendra cela, » ajoutait tout bas Louise Cochelet. Cette plaisanterie m’a fait connaître que la maligne gaité de Louise aime les caquets, mais elle m’aurait laissé ignorer ce qu’est M. d’Houdetot, si le Prince et Parquin, tous deux fumant un cigare, ne nous avaient rejointes à propos dans le sentier.

Le colonel d’Houdetot est cousin de Mme Lindsay, et, comme elle, originaire de l’Ile de France, où son père était gouverneur. Ses services militaires datent du camp de Boulogne et prirent fin d’abord à la bataille de Trafalgar, où il faillit périr d’une grave blessure ; mais, à peine remis, il passa dans l’armée de terre, où le maréchal Davout se l’attacha. Ils étaient encore ensemble à l’armée de la Loire en 1815. La fortune de M. d’Houdetot, comme celle de tant d’autres, subit alors une longue éclipse. Louis XVIII le laissa sans emploi, puis le Duc d’Orléans le prit dans sa maison. Ce prince le garde auprès de