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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/622

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rappelle les misères endurées à Longwood par l’illustre captif. Hudson Lowe lui refusait le nécessaire ; la nourriture, le vin, l’eau même étaient mesurés si juste que, pour faire vivre les personnes de sa maison, l’Empereur en était réduit à briser et à vendre son argenterie. Hudson Lowe retint plus d’une fois les sommes que son prisonnier s’était procurées de cette manière et prétexta qu’elles pouvaient servir à des projets d’évasion. Cependant l’Empereur avait eu soin de faire détacher les aigles qu’il destinait aux personnes de sa famille. Le prince Napoléon a fait monter la sienne sur le manche d’un poignard. Le prince Louis en garde soigneusement une autre, comme un talisman qui, dit-il, lui portera bonheur.

La Reine paraît parfaitement heureuse au milieu des siens. Elle me disait aujourd’hui : « L’un des plus grands chagrins de ma vie a été de me séparer de Napoléon enfant ; la mauvaise santé et le caractère bizarre de son père me faisaient tout craindre ; mais la bonne nature de son fils a suppléé à tout. Les princes devraient être parfaits, par la raison qu’ils ne peuvent échapper à l’attention et à la critique ; l’éducation est donc la partie la plus essentielle de leur vie… Plusieurs personnes ont pensé que je gâtais mes fils parce que je les aimais. Elles se sont trompées : plus une mère aime son enfant, plus elle doit être sévère envers lui… »

Parlant ensuite de ses grandeurs passées, elle n’en regrettait rien et disait n’en avoir gardé que de mauvais souvenirs. Les frères et sœurs de l’Empereur la jalousaient ; leurs mauvais procédés, leurs calomnies, la faisaient mourir de chagrin. Après les grandes crises qui ont bouleversé son existence, lorsque des pertes réelles dans ses affections lui ont appris qu’elle n’avait pas encore été aussi malheureuse qu’elle pouvait l’être, elle a repris de l’énergie par l’excès même de ses maux. Elle a écrit ses souvenirs et s’est sentie comme soulagée du poids qui pesait sur son cœur. Elle a jeté un voile sur le passé, qu’elle s’efforce d’oublier ; depuis, sa santé s’améliore, tant notre existence, même physique, dépend de notre volonté.

Elle avoue qu’au moment des derniers événemens de Paris son cœur a battu d’espérance et qu’elle a entrevu pour ses fils un nouvel avenir. C’est pour eux qu’elle aurait désiré revenir en France, car elle, « dont la vie est finie, » elle appréhendait au contraire de reparaître en des lieux où elle a tenu un