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rang supérieur à celui qu’elle pourrait occuper aujourd’hui.

La situation de Louis-Philippe lui paraît incertaine ; elle en donne pour preuves la retraite de MM. Guizot, de Broglie, Louis, Mole, Casimir Perier, Dupin et le ministère nouveau formé par M. Laffitte le 2 novembre. Malgré tout, la nouvelle royauté existe, et il est plus facile de faire durer ce qui est que ce qui n’est pas.

Le prince Napoléon disait à son tour que la famille Bonaparte aurait peut-être bien fait d’avoir son journal à Paris, et qu’elle y avait songé un moment ; mais il fallait pour cela un sacrifice de 50 000 francs, que la Reine n’est pas assez riche pour faire toute seule et dont les autres ne se sont pas souciés. J’étais en face de lui dans la voiture, pendant notre promenade aux Cascine. Il veut que je parle l’italien, et m’en a même donné une leçon ; il récite des poésies de Berchet, que je dois, dit-il, apprendre par cœur. Il est si bon, si simple I Sans sa pipe, sa tabatière et les petits anneaux d’or qu’il porte aux oreilles, il serait tout à fait mon héros. A propos d’un cheval de peu de prix qu’il affectionne, parce qu’il l’a dressé lui-même, il contait une marche forcée qu’il avait fait faire au pauvre animal. Un jour, en revenant à Florence, après une longue promenade, il aperçut de loin un incendie, y courut, par curiosité, remit la tête à de pauvres paysans désespérés, sauva leur blé, leurs meubles, en ordonnant les travaux, faisant faire une chaîne et, faute d’eau, en éteignant l’incendie avec de la terre. Il avouait s’y être brûlé les cheveux, mais ne trouvait à louer dans tout cela que les six milles de plus parcourus au galop par son petit cheval.

La Reine, pensant à son prochain départ, a voulu rendre ensuite la visite qu’elle avait reçue de lady Normanby. Le lord est fixé en Italie depuis dix ans ; étant de l’opposition du Parlement, il n’y siège pas, pour ne pas désobliger son père, qui est ministériel.

Les Anglais, à force de se livrer à leur confortable, donnent à leurs salons l’air de garde-meubles. Des canapés s’étalent au milieu de la chambre ; puis de grands fauteuils de toutes les formes, si mous qu’on les croirait destinés à des malades ; une quantité de tables chargées de toutes sortes de choses, dont la réunion s’appelle « un petit Dunkerque ; » des fleurs, des gravures, des livres, des albums, des dessins. Le palais de lady