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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/630

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On l’a chargé de tous les forfaits et de tous les vices. Peut-être faut-il à cet égard, néanmoins, garder quelque vraisemblance. Il dépouilla son neveu Arthur, fils de son frère aîné, qui devait légitimement succéder au Cœur de Lion. Mais l’histoire du sombre attentat manqué de la tour de Falaise demanderait à être confirmée. Quant à la scène meurtrière de Rouen, on voit mal un roi d’Angleterre, si noir d’âme qu’il puisse être, en chaloupe avec son neveu, la nuit, sur la Seine, le transperçant lui-même de sa dague et basculant son cadavre dans la rivière. En fait, quelques soupçons qui puissent planer sur un événement si profitable, le jeune prince, indignement captif et reclus, périt de mort incertaine, sans que son entourage, immédiatement au moins, en manifestât quelque émotion révélatrice. Il se peut qu’il soit mort de misère et d’étiolement dans une prison lâche. La Tour du Temple a vu pareille espèce écœurante de crimes.

Les Anglais d’alors, quelques griefs qu’ils eussent contre Heur roi, ne songèrent cependant guère à lui attribuer ce forfait. L’imputation ne commença du reste à circuler dans les écrits français, que dix à douze ans plus tard. Mais, aux habitans de l’Angleterre, John Lackland fut odieux pour d’autres causes, insulaires et britanniques.

Il gênait le goût de liberté qui s’était emparé de la noblesse anglaise. Il s’y opposa avec maladresse, entêtement, fourberie et fureur. Ses mœurs, par ailleurs, s’affichaient scandaleuses. Il séduisit, enleva ou mit a mal plus d’une de ses sujettes de marque. Ayant découvert un procédé pour répudier sa femme, Avise de Glocester, il porta ses vues, dans son domaine d’Aquitaine, sur la jolie et ambitieuse Isabelle d’Angoulême, accordée avec Hugues de Lusignan, fils du comte de la Marche. Il l’arracha à son fiancé et en fit une reine d’Angleterre. Ce fut l’origine de la plainte des barons poitevins au roi de France, acte judiciaire qui déclencha la procédure de confiscation des fiefs vassaux de la couronne de France et leur conquête par Philippe-Auguste. Tous les actes de John Lackland se développaient dans un sens directement contraire au caractère et aux intérêts d’outre-Manche. Les Anglais, peut-être surtout les modernes, ne lui ont jamais pardonné ces dommages-là. Sa tombe solitaire, dans la cathédrale de Worcester, semble attester leur aversion posthume. Leurs annales sont dures,