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et s’épaissit une profondeur d’infanterie, les fantassins d’Allemagne, et l’admirable infanterie brabançonne, la plus solide de l’Europe. Enfin, dominant le tout, l’enseigne impériale. Porté sur un chariot que traîne un robuste attelage, c’est un grand dragon doré que surmonte, fixé au sommet d’une longue tige, un aigle de métal étincelant. L’oiseau belliqueux parait planer sur le champ de bataille, les ailes éployées, le rostre et les serres menaçans. Il regarde devant lui, flottant au bout de sa hampe, le rectangle rouge et les pointes découpées de l’oriflamme.


L’Empereur est surpris. Il croyait trouver une longue colonne en retraite, où sa chevalerie n’aurait qu’à frapper. Et voici qu’il rencontre une formation robuste et achevée, sur un emplacement qui la favorise, le chef de nation à son poste. « Mais que me racontiez-vous donc, » dit-il en substance, à certain groupe de conseillers, « que le roi de France ne ferait pas tête, qu’il se sauvait à Péronne ? Maintenant, le voilà devant nous, prêt à combattre, et qui m’attend ! » Et sans doute, à présent, l’empereur Othon commençait-il à penser que Renaud de Dammartin voyait juste, quand, le matin même, au moment où s’était décidée la marche offensive contre l’armée capétienne supposée fuyante et cherchant son salut vers le pont de la Marque, le comte de Boulogne, Coriolan si l’on veut, mais Français connaissant les Français, avait en vain essayé de le dissuader d’engager une bataille de cette sorte, improvisée sur le terrain, où la souplesse connue de la manœuvre de l’adversaire apporterait de rudes surprises à l’imprudence entêtée de l’assaillant.

Deux heures après-midi. L’action générale s’engage. Peut-être, vers le Sud-Est, entre le duc de Bourgogne et les Flamands contenus, le combat n’a-t-il pas cessé. Au centre et au Nord-Ouest, il se déchaîne avec violence.

On a beaucoup disserté sur l’art militaire au Moyen âge. Et à propos de Bouvines, notamment, des précisions se sont quelquefois affirmées, qui comporteraient peut-être moins d’assurance.

Toute action guerrière de ce temps se livre et se poursuit, en somme, dans un désordre éblouissant. Quand la cavalerie lourde, reine du choc en certains cas, s’ébranle et se lance au jeu, les duels individuels, dégénérant en duels de groupes,