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contrôle trop apparent et trop direct que les Puissances exercent sur cette institution ; qu’elle réalise un recrutement plus logique des juges et qu’ils ne relèvent plus que d’elle, — soit ! mais que l’on n’aille pas plus loin. Que l’on n’aille pas, comme commençaient, ces temps derniers, à l’insinuer quelques journaux anglais, jusqu’à exiger que l’on remplace aussi les codes mixtes par je ne sais quelle mixture de codes plus ou moins britanniques. On a parlé des codes de l’Inde ; on a insisté sur la nécessité d’unifier les lois de l’Egypte et celles du Soudan, qui sont de source anglaise. Tout cela vise à préparer l’installation de juges anglais, et surtout d’un droit anglais vaguement égyptianisé. Et c’est le danger que nous signalons.

Je ne parle pas des obstacles matériels qui s’opposent à ce changement ; il y aurait trop à dire. Il suffit, du reste, de songer que l’Egypte n’est plus un pays neuf où l’on puisse tailler et recoudre à volonté en ces matières, et que les immenses intérêts européens qui y sont, depuis un quart de siècle, engagés, ne pourraient supporter sans souffrir un pareil bouleversement de législation. Je veux me borner au point de vue des intérêts moraux de la France. Or ce que, chez nous, on ne voit pas assez, c’est que l’existence des codes mixtes est un des piliers les plus robustes et les plus nécessaires de notre influence égyptienne et de l’expansion de notre culture nationale. Parce que le droit napoléonien règne en somme par eux en Egypte, l’attraction que notre génie y exerçait déjà a été renforcée puissamment. Parce que, pour comprendre le droit mixte, il fallait connaître le droit français dont il est dérivé, des jeunes gens sont venus dans nos facultés chercher un enseignement et des diplômes qui ouvrent, avec l’appoint facile d’un certificat complémentaire égyptien, l’accès du barreau et même des administrations khédiviales. Bien plus : c’est pour cela qu’on a vu se fonder et grandir, au Caire même, l’Ecole Française de droit où se pressent aujourd’hui tant d’étudians. Que disparaisse le droit mixte, que soient fermés ces tribunaux où règnent à la fois l’esprit et la langue du droit français, notre Ecole de Droit du Caire n’aura plus qu’à mourir ; et ainsi sera tarie l’une des sources les plus précieuses de notre influence morale et de notre prestige.

Ces craintes sont-elles vaines ? Il faut le souhaiter, et il faut que notre diplomatie s’efforce de détourner le coup. Au