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l’erreur, qui leur jettera la première pierre ? Ce n’est pas l’auteur du Démon de midi ; mais il leur accorde une pitié attentive.

Geneviève et Savignan, les amans coupables, il les favorise, il a soin d’eux, les aime, leur sourit. Pour raconter comment ils sont épris de leur tendresse, il a des phrases toutes frissonnantes. Lorsqu’ils souffrent de leurs scrupules et croient qu’ils vont se séparer : « ces projets des amans, c’est le palais des Mille et une Nuits, qui surgit et qui s’efface, qui est là aujourd’hui et qui n’est plus là demain… » Savignan, de retour à Paris où viendra Geneviève, choisit et installe avec précaution la retraite d’amour ; il veille à ce que les vulgarités habituelles n’enlaidissent pas les délicieuses rencontres. L’auteur du Démon de midi a les mêmes soins pour l’amour de ses héros malheureux.

Ses modernistes non plus, il ne les avilit pas. Il les condamne : il ne les raille point. Il ne suspecte pas leur bonne foi, qui est le salut dans l’erreur. Pourtant ils vont jusqu’à l’hérésie déclarée, fondent une église, corrigent le dogme, réduisent le nombre des sacremens, suppriment la liturgie, adressent à Dieu leur prière au nom et en mémoire d’Origène, de Nestorius, de Molinos et de Monsieur Féli, fulminent contre le Vatican et appellent Hakeldama, le prix du sang, la Rome pontificale. Fauchon, prêtre interdit, bientôt excommunié, l’apôtre de la secte, se marie. Peut-être des modernistes moins audacieux reprocheront-ils à M. Paul Bourget de méconnaître leur timidité. Ce n’est pas mon affaire : à peine insinuerai-je qu’une religion (c’est une soumission de l’esprit) se débauche en philosophie, dès sa première liberté. Quoi qu’il en soit, M. Paul Bourget réclame pour le romancier le droit de « pousser jusqu’au terme de leur logique tels et tels types, telles ou telles idées, qui ne sont pas allés, qui n’iront peut-être jamais jusque-là. » C’est le fait même du modernisme, et enfin de l’innovation religieuse, qu’il attaque ; et c’est, dans un Fauchon, la tentation de midi qu’il signale. Tentation d’orgueil, comme en Savignan ce fut la tentation d’amour. Eh bien ! plus nous choquent les sacrilèges entreprises de Fauchon, plus importe l’équité de ce jugement : Fauchon, c’est un homme qui se trompe.

Cette complaisance — si hardie et si belle — avec laquelle l’auteur accompagne l’amoureuse aventure de Geneviève et de Savignan, la même complaisance, il l’accorde 1i ses hérétiques. Il ne dissimule pas la séduction de leurs idéologies, l’attrait de leur ingéniosité, parfois la généreuse vaillance de leurs argumens. Il n’a diminué, en puritain, ni l’enchantement d’amour, ni l’enchantement de raison, deux délices.