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Une polémique où l’on a premièrement désarmé l’adversaire est un jeu médiocre, ou l’aveu d’une inquiétude, la crainte d’une faiblesse. Mais le loyal combat, celui-ci ; l’on sent la force d’autrui : l’on n’en lutte que mieux !… La théologie dans le roman : n’est-ce pas sa première apparition ? Je ne sais pas de chapitres plus poignans que ces chapitres sans feinte où l’auteur est aux prises avec l’ennemi, le laisse approcher, lui rend du terrain, le regarde et nous invite presque à l’admirer, puis ne cède pas. Quelle énergie de la conviction, pour résister à tant de sortilèges, après qu’on a eu l’air de les subir !


C’est par le fils de Savignan que se joignent, dans le Démon de Midi, le roman d’amour et le roman de doctrine. Ce jeune homme, pieux et enthousiaste, a été naguère l’élève de Fauchon : prodigieuse influence, et difficile à secouer. Seul, le père sauvera l’âme de cet enfant que contaminent les funestes persuasions. L’hérétique a mis en ordre ses maléfices dans un pamphlet qu’il intitule : Hakeldama. Et Jacques Savignan, le fils, a lu ces pages sans horreur. M. Bourget note qu’il y a, pour ensorceler chaque génération, un mot, dont les significations un peu vagues trahissent tout un état de l’âme à une heure donnée : vers la fin de l’ancien régime, la Raison ; plus récemment, la Science ; et, de nos jours, la Vie. La Raison, la Science et la Vie, trois idées en fonction desquelles la philosophie peut constituer des systèmes. Seulement, les idées, parmi les foules d’une époque, se dépravent. C’est en l’honneur de la Raison que la Terreur a commis ses crimes ; c’est en l’honneur de la Science qu’a sévi la politique de persécution religieuse et d’ânerie emphatique ; c’est en l’honneur de la Vie que se démène l’anarchie contemporaine. Et, la Vie, le modernisme se réclame d’elle, quand il affirme que la religion doit évoluer, quand il « met la vérité religieuse dans une révélation sans cesse renouvelée, sans cesse adaptée, mouvante et changeante comme le siècle. » Tels sont les spécieux sophismes par où la récente hérésie a prise sur un esprit jeune, féru de ses croyances et troublé par les manies intellectuelles de son temps. Jacques Savignan ne va-t-il pas céder aux aguichans paradoxes d’Hakeldama ? Qu’on les lui démolisse !… Et qui les lui peut démolir ? Son père. Que Savignan réfute Hakeldama, et Jacques Savignan sera délivré. Certes, pour dégager son fils du réseau des sophismes, Savignan donnerait beaucoup plus que sa vie ; car il aime son fils et il l’aime en chrétien qui sait le prix d’une âme. L’espèce de dégoût, de répugnance qu’on éprouve à sentir un être qu’on chérit captif d’une liaison vilaine ou sale, combien il en est