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fourbe, lui est un supplice d’orgueil insulté ; puis, en dénonçant le fourbe, il servira la vérité, sa vérité qu’il maintient. Bref, il publiera ces lettres d’amour. C’est une vilenie : et Thérèse, sa femme, s’oppose à un si lâche dessein. Que faire ? Elle ne réussit pas à dissuader le furieux. Elle va chercher Jacques Savignan. La querelle éclate ; et Jacques prend ces lettres d’amour que son père a écrites. Le prêtre et son élève échangent des injures, des coups. Il y a, sur la table, un revolver. Fauchon le saisit. Thérèse le lui arracherait. Dans la lutte, et par Thérèse ou par Fauchon, maladresse, la détente pressée, Jacques reçoit une balle dans la poitrine. Qui est l’assassin ? Personne. Qu’on cherche l’enchaînement des effets et des causes : parmi les causes et à l’origine des causes, l’on trouve Savignan. Lui-même s’y trouve.

A la scène effroyable du meurtre succède une admirable scène de sérénité pathétique : la mort de Jacques, « l’holocauste. » Il se confesse et l’on récite auprès de lui les prières des agonisans. Il n’a ni regret ni haine. Il offre à Dieu son martyre, pour que reviennent à Dieu les égarés : « Pour que tu reviennes… » dit-il à son pure ; et « Pour qu’elle revienne… » dit-il en regardant Thérèse ; et « Pour que vous reveniez… » dit-il à son maître. Les ténèbres gagnent ses yeux. D. murmure encore : « Mais revenez, revenez tous… » Il s’adresse à Dieu : « Secundum magnam misericordiam luam… » Et il meurt.

Thérèse retournera chez ses parens : son mariage, célébré seulement par l’hérétique, n’est pas valable. Fauchon se retirera, pour faire pénitence, à la Grande Trappe. Geneviève et Savignan, qui s’aiment encore, seront séparés à jamais. Geneviève retournera chez Calvières, qui a ses raisons politiques de la reprendre : elle n’y consent, d’ailleurs, que par la volonté de Savignan ; son renoncement final est un acte d’amour obéissant. Lui, Savignan, plus âprement frappé que tous, est loin du calme. Il a perdu la possibilité consolante de la prière. S’il écarte Geneviève, comment ne l’écarterait-il pas ?… Cet impitoyable dénouement résulte des calamités : la logique des événemens l’a voulu. Mais, dans la pensée de M. Paul Bourget, non cette logique seulement : par des chemins plus ou moins longs, plus ou moins durs, il faut que « reviennent » les coupables, en vertu de l’holocauste. « Le sacrifice de l’innocent, sa mort, quel mystère 1 C’est tout le christianisme. J’ai payé la dette qui n’était pas la mienne. Quod non rapui, tune exsolvebam. Quelle parole !… »

Si le mysticisme d’une telle conclusion déconcerte un lecteur mal