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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/690

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chrétien, qu’il veuille observer cependant la vérité humaine de cet arrangement romanesque. Après la mort de Jacques, ni le faux ménage du prêtre, ni la liaison des amans ne pouvaient durer. Toute l’anecdote du roman se déroulerait de même, et avec la même rigueur naturelle, si l’auteur ne l’avait destinée à nulle démonstration dogmatique. Et ce fut bien là, je crois, le propos de M. Bourget. Mais il manquerait la moralité de l’anecdote. Or, si l’anecdote, M. Bourget l’avait soumise par avance à la moralité, celle-ci n’aurait point de valeur probante. Mais voilà de la vérité humaine. Constatez-la ; puis expliquez-la : tout se passe comme si les dogmes chrétiens étaient la vérité supérieure aux vérités partielles, la vérité suprême. Ainsi, le mysticisme chrétien n’est-il pas un fait positif ?


On a souvent discuté la question dite du « roman à thèse. » Généralement, on note que, l’auteur étant le maître de la fable qu’il présente, la conclusion dépend de sa fantaisie ; et l’on borne les ambitions de cette espèce au roman dit « à idées. » Mais, aux formules sur lesquelles spéculent les critiques, le Démon de midi ajoute une formule nouvelle. Ce roman « à idées » est, dans la mesure que j’indiquais, démonstratif. Non qu’il doive emporter à sa thèse l’universelle adhésion tout de go : du moins, il fournit des argumens et en tire une preuve, laquelle est de qualité objective. Et (j’insiste) il ne ressemble point à ces livrets, si fâcheux, où l’on sent un persévérant parti pris d’édification, à ces récits faits pour nous convaincre, nous prêcher, sortes d’ex-voto laborieusement naïfs. C’est, ici, tout le contraire, si, comme j’essayais de l’établir, l’authentique réalité du roman sert de garantie à la preuve.

Aussi le Démon de midi comptera-t-il parmi les véritables romans de M. Bourget, parmi les plus beaux, s’il n’est son chef-d’œuvre. Les personnages ne sont pas des allégories, dans une intrigue qui serait une dialectique. Avec leurs hérédités et avec leur individualité, ils ont leur ample et libre destinée : l’auteur ne les empêche pas de vivre et ne les soumet point à ses intentions… « L’art du roman (dit M. Paul Bourget, dans sa préface), enivrant comme un songe d’opium… Le conteur ne voit plus que ses héros et leur caractère… Il n’est plus que le témoin passionné des drames qu’il invente et auxquels il participe, comme s’ils étaient réellement vécus devant lui par d’autres… » Les personnages du Démon de midi ont toute leur désinvolture. Et ils trempent dans leur époque ; plus résistans les uns et moins prompts, les autres, à réagir, ils ont subi toutes les contagions