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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/789

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de vie conjugale, il est trop évident qu’il reprenait sans déplaisir sa vie de Paris, quelque vide qu’elle lui parût, lorsqu’il y réfléchissait. Un de ses amis, le poète Charles Loyson, écrivant à Mme de Biran, après un séjour à Grateloup, lui dépeignait en ces termes la vie trépidante de son mondain de mari :


Je vous avais promis, à mon départ, d’épier la conduite de M. Maine et de vous en rendre un compte fidèle. Hélas ! Madame, c’est un triste ministère que celui dont je me suis chargé. Vous avez un mari bien dérangé. Il couche chez lui, je crois, mais il n’y dine jamais. Conseil d’Etat, Chambre des députés, commissions le matin, réunions le soir, grande dépense de cabriolet ; voilà sa vie dans laquelle il reste à peine quelques rares instans pour tel qui s’était trop accoutumé, dans vos bois, au plaisir de le voir tous les jours. Ah ! Madame, rappelez-nous bien vite au bord de votre canal…


Maine de Biran ne se serait pas laissé rappeler à Grateloup : la politique l’avait pris dans son engrenage. A cet égard, son rôle a été modeste, et plus utile que brillant. Il n’a pas occupé de très hautes fonctions, et d’ailleurs, peut-être n’y avait-il pas en lui l’étoile d’un homme d’Etat de premier plan. De plus, il n’était pas orateur, et ses interventions a la tribune n’ont été ni très fréquentes, ni très remarquées. Mais dans les bureaux, dans les commissions, dans les réunions préparatoires, il rédige des rapports ou des adresses, donne son opinion sur les questions à l’ordre du jour, soutient de toute son ardeur et de toute sa conscience les idées ou les causes qui lui semblent équitables. Très sincèrement royaliste, allant jusqu’à écrire : « La royauté est sacrée comme la religion même dont elle est inséparable,  » il n’a pourtant pas le fanatisme de ses convictions politiques, et les « ultras » ne l’ont jamais compté dans leurs rangs. Entre l’ancienne France et la France moderne, il voudrait éviter de creuser un fossé. « Je ne veux pas qu’il y ait deux nations en France, lui avait dit un jour Louis XVIII qui l’estimait fort, je suis le Roi, le père de tous les Français… Je ne reconnais pour amis que ceux qui sont opposés à toutes les exagérations. » C’était la devise même de Maine de Biran. Comme d’ailleurs tous les esprits sages et modérés, pris entre les deux partis extrêmes, il fut également suspect à l’un et à l’autre, et il fut combattu successivement par l’un et par l’autre. En 1816, la conjuration des ultras le fait échouer aux élections législatives, et celle des libéraux, à plusieurs reprises, un peu plus tard, faillit avoir le même résultat. L’expérience du despotisme