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révolutionnaire et impérial l’avait rendu assez peu tendre pour tout ce qui n’était pas la royauté légitime. « Hors de la légitimité, écrivait-il, je ne vois qu’anarchie ou despotisme. » Et rattachant ses conceptions politiques à sa philosophie générale, à celle du moins à laquelle il en était progressivement venu, il déclarait : « La souveraineté du peuple correspond, en politique, à la suprématie des sensations et des passions dans la philosophie et la morale. » Et il faut croire que la pratique et la vision directe des assemblées politiques avait fini par le rendre extrêmement sceptique sur la qualité des services que l’on en peut attendre, car, en juin 1820, il notait ceci dans son Journal : « Passions, intérêts personnels, mensonge perpétuel, comédie, voilà le gouvernement représentatif. Je dois m’en séparer. Ma vie entière se perd. » A ses yeux, ce qui importe avant tout, c’est de raffermir l’autorité royale. Seul un pouvoir fort sera capable de concilier les intérêts contraires et les doctrines adverses, de leur imposer le respect des grands intérêts nationaux, de concéder et de garantir l’usage des libertés nécessaires. « Les vrais libéraux, affirme-t-il, ne peuvent être cherchés que parmi les royalistes. » Si tous les royalistes avaient eu sa résolution et sa sagesse, il est probable que bien des fautes eussent été épargnées à la monarchie traditionnelle, et plus d’une aventure au pays.

Parmi toutes ses occupations officielles et ses obligations sociales, il n’oubliait pas qu’il était père de famille. Il avait surveillé lui-même l’éducation et l’instruction de son fils Félix, qui, très différent de lui-même, se fit soldat et gâta un brillant avenir militaire par l’impétuosité de son humeur. Ses deux filles, Elisa et Adine, avaient été recueillies, à la mort de leur mère, par leur tante maternelle, qui les éleva de son mieux à la campagne, mais leur fit une existence austère, étroite, presque claustrale. Les visites et les lettres de leur père, qui les aimait très tendrement, et, comme il était naturel, puisqu’il remplaçait leur mère auprès d’elles, d’une tendresse un peu féminine, étaient à peu près leur unique distraction.


L’aînée, — écrivait Maine de Biran dans son Journal intime, — l’aînée est douce, bonne comme sa mère, timide et sans aucune confiance en elle-même ; elle est appelée à suivre les habitudes et la route ordinaire de la vie. La cadette a une sensibilité délicate, susceptible d’exaltation, des idées fines et profondes, un tact supérieur à son âge, une âme élevée, pour qui les bornes de la situation commune ne suffisent pas. Je crains que son