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Dans plus d’une université on est préoccupé de l’idée que l’ancienne économie politique risque d’être bouleversée par l’action plus hardiment égalitaire des lois, par la puissance de l’association, puis par cette variabilité de goûts qui ne permet plus de considérer l’homo œconomicus comme un type moyen toujours ramené au respect d’un certain équilibre. Sans parler de la fameuse question, toujours agitée, de la valeur, on soupçonne que la loi de l’offre et de la demande pourrait bien être ébranlée et qu’à la liberté qui lui était laissée d’agir, par ses forces naturelles semble devoir se substituer un nivellement imposé des demandes et des offres. Ceux qui y regardent de plus près seront surpris de ce peu de confiance dans la solidité des lois naturelles. Ils s’étonneront aussi de cette assertion, que l’association et la réglementation et le pouvoir de la mode avaient été jusqu’ici choses inconnues dans tant de pays qui ont connu les corporations, le colbertisme et toutes ces fantaisies qui (pour ne pas remonter plus haut) ont traversé, sans s’y arrêter, l’époque d’Henri II, le XVIIIe siècle, etc. Sans doute les effets des lois économiques se modifient avec la matière sur laquelle elles agissent, de même que les lois physiques et mécaniques produisent des effets inattendus, contradictoires même, suivant la façon dont se combinent les circonstances inséparables de leur jeu. Il faut savoir comprendre, — ce qui n’est pas bien malaisé, — la formule des trois patrons qui courent après un ouvrier et des trois ouvriers qui courent après un patron. Elle ne demande pas à être simplifiée si mathématiquement. Il faut savoir quelles charges les uns et les autres supportent et quelles sont les aides qui leur permettent d’aller bon train ou de patienter le long de la route. Mais que les uns et les autres courent isolément ou par groupes et qu’ils aient ainsi plus ou moins abondamment les moyens d’attendre et d’user les résistances en vue de faire capituler ou ceux qui offrent ou ceux qui demandent, la loi n’en demeure pas moins : les efforts mêmes que font les diverses parties pour s’en procurer plus largement le bénéfice prouvent bien qu’elle est solidement liée à la nature des choses.

Nous venons donc de rencontrer là un trait de plus de cet esprit de lassitude et de détachement qu’on manifeste en tant de milieux à l’endroit des théories et des systèmes. Malheureusement, entre le libéralisme individualiste et le socialisme