Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/827

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pragmatisme. Il croit à l’esprit, mais le prend, me dit-il, tel qu’il le trouve, ne faisant qu’un avec la raison qui opère en lui : toute question de réalité substantielle de l’esprit, en nous comme hors de nous, lui reste absolument étranger.

Un autre philosophe de l’université de Bologne, M. Tarozzi, est, au fond, un empiriste, mais qui se dit que l’évolutionnisme est mort, au moins sous la forme spencérienne : il croit même lui avoir porté personnellement un coup décisif en lui opposant, avec les néo-critiques, un indéterminisme rajeuni. Le grand argument de M. Tarozzi, qui n’admet d’ailleurs ni l’a priori, ni la dualité de la nature et de l’esprit, ni (ce qui est surtout à retenir) le libre arbitre, mais croit simplement à la contingence, est que le nombre des faits possibles ou réels est infini. Je ne sache pas qu’il ait la prétention de nous libérer ainsi du poids d’un déterminisme inévitable. Ne confondons pas le hasard avec la liberté, — qui en est presque l’inverse.

M. Marchesini croit, quant à lui, que si nous pouvons modifier d’une autre façon le déterminisme de nos états, c’est par l’idéalisation de ce que nous éprouvons et de ce que nous sommes. Mais qu’est-ce que cette idéalisation ? Les divers successeurs de M. Ardigo ont senti partout que l’empirisme et que la scolastique allemande, tout cela était bien sec, sans amour, sans « générosité, » — c’est le mot que prononçait devant moi un philosophe de Turin. Et puis, quelles que soient les paroles prononcées, les Italiens veulent toujours un peu de musique. Pour accorder l’empirisme et l’idéalisme, voici donc ce que M. Marchesini a très ingénieusement imaginé. Dans les débuts de la vie, tous les phénomènes se mélangent en un tout complexe et indistinct. Peu à peu les formes supérieures émergent, et alors s’opèrent des groupemens nouveaux où les anciens phénomènes se réintègrent en s’épurant, en se rectifiant, autrement dit en s’idéalisant. Ainsi ce mélange confus d’espérances, de craintes, de peurs, de respect, d’affection sensible qu’on voit s’agiter dans l’enfant, tout cela se réintégrera dans l’idéalité qui s’appellera la religion et le culte. Qui opérera cette réintégration ? La liberté créatrice, et les idéalités qu’elle étage successivement les unes au-dessus des autres forment un trésor inépuisable : il ne peut jamais être « actualisé. » Soit ! Mais qui donc frappe cette matière pour lui imprimer sa valeur et la distinguer de la fausse monnaie ? Où prend-elle son titre ? C’est sans