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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/828

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doute ici que le disciple reprendrait à son propre compte la parole du maître : « Le principe est humain. » Alors si rien n’est que fait, et si les faits se modifient à volonté sous une action purement humaine, on ne trouve guère de garantie, dans la « ferveur d’idéalisation » (mot nouveau), pas plus que dans la « virtuosité » d’autrefois.

À cette réaction telle quelle contre l’empirisme matérialiste et le déterminisme s’associent diversement des penseurs qualifiés de néo-kantistes et de néo-hégéliens… C’est même ici le lieu d’observer que si à certaines époques fleurissent les anti-…, à certaines autres pullulent les néo-… C’est inévitable, du moment où les génies inventeurs et créateurs sont rares. Kant a été souvent étudié avec beaucoup d’attention par les philosophes des universités italiennes ; car leur esprit de recherche et de critique a plus de patience, plus d’exactitude, plus de souci d’être complet, qu’on n’est quelquefois porté à le croire. Toutefois il est certain que l’ardeur de l’imagination reprend presque toujours le dessus pour les entraîner aux grandes perspectives aisément trompeuses : « Je suis kantiste, me dit à Naples le très distingué professeur de philosophie, sénateur depuis peu, M. Masci. Mais, ajoute-t-il, ce n’est pas que j’admette toute l’architectonie du kantisme. » Le mot m’a paru significatif. Évidemment, ce qui est exclu ici du néo-kantisme, c’est le labyrinthe scolastique des classifications, des subdivisions, des oppositions symétriques dont sont hérissées les trois Critiques. Pour les Italiens, tout cela est trop sec. Trop sec aussi et trop rigide est le dogme stoïcien de l’impératif catégorique. Aussi bon nombre d’esprits aiment-ils mieux sauter par-dessus Kant, par-dessus Fichte, pour s’installer chez Hegel ; car Hegel a propagé, pour ne pas dire popularisé, deux idées bien faites pour leur plaire. La première est celle du devenir, qui donne tant à la nature, soit que celle-ci apparaisse comme toute faite, en dehors de l’esprit, avant l’esprit, soit qu’on la donne comme faite par l’esprit lui-même, soit enfin qu’au monde concret, avec ses contradictions et ses hasards, on superpose un monde abstrait, plus logique, qui le gouverne comme il peut (chacune de ces tendances est facile à retrouver dans l’école). La seconde grande conception est la conciliation des contraires, et là les amis légendaires des combinazioni sont prêts à dire qu’ils ne font que reprendre leur propre bien.