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Mais ces valeurs existent-elles d’avance en un plan préétabli ? Non ! nous dit-on, car on n’aurait plus besoin de les chercher ; tout le travail se trouverait fait. Or, l’évolution, quoiqu’elle attende constamment ce qui doit lui donner sa valeur, reste la loi, et cette loi nous entraine à l’infini. Et c’est cet infini qui est le mystère, précisément parce qu’il laisse toujours « une marge » à l’inconnu, et donne à la religion des espérances auxquelles rien n’est défendu…, rien, si ce n’est de retourner en arrière et de chercher sa loi dans une culture inférieure à celle dont on a dû précédemment se contenter.


Ce qu’il y a d’idéalisme, — plutôt que de spiritualisme, — dans ces élans, n’empêche pas, loin de là, que le fonds le plus tenace de l’esprit italien ne soit, somme toute, l’hégélianisme. Il s’en accommode d’autant mieux qu’il a l’orgueil d’y voir un développement de la philosophie de la Renaissance et des idées de Vico : car, à l’entendre, celui-ci n’a fait, sous l’empire de la théologie régnante de son époque, que superposer un Dieu personnel à une sorte de panthéisme naturaliste, ce qui est bien le record, pour ne pas dire le comble de la conciliation des contraires. Aussi ne saurions-nous clore cette esquisse sans y donner un peu de place à un homme qui, sans appartenir à aucune université, forme chez elles des élèves (par exemple M. Gentile, de l’université de Palerme). Du reste, si on pose cette question : « Quelle vous parait être dans vos milieux intellectuels l’influence de M. Benedetto Croce, votre sénateur ? » la réponse est toujours la même : « Très grande. »

Sans doute, M. Croce, auquel beaucoup reprochent des allures dédaigneuses et agressives, est très souvent combattu et avec vivacité, ce qui n’est pas une marque d’indifférence. On lui reproche aussi une intolérance allant jusqu’à un appel à une nouvelle inquisition mise au service de la libre pensée ; mais ce qui nous intéresse davantage, c’est de relever chez lui ce qu’on peut bien y qualifier d’hégélianisme national.

Sur quoi nous guider ? se demande M. Croce[1]. Sur le fait ? Mais il est souvent accidentel et ne recevra sa signification que de l’ensemble où il s’imposera… plus tard ! Des lois sociales ?

  1. Voir surtout son livre : Philosophie de la pratique. Alcan.