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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/839

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français, et son fils, fort joli garçon ; un petit ténor Angelini, qui ennuie, et que la Reine a fait chanter, pour se débarrasser de lui ; le jeune prince Ruspoli, grand et bel homme, fils de l’évêque, propriétaire de la maison, ont précédé le défilé des Français.

De ceux-ci je retiens surtout M. et Mlle Feray et le marquis de Rougé. Le premier, riche négociant, atteint d’un peu d’ultracisme, parait jouer au grand seigneur ; il est père de Mme de Champlouis, femme du préfet de Strasbourg, de Mme Salvandy, et compte parmi ces fidèles de la Reine qui fréquentèrent chez Louise Cochelet, à Sandegg, dès les premières années de l’exil d’Arenenberg. Mlle Feray, sa nièce, a fait avec moi des projets de musique : voilà une aide précieuse pour nos samedis.

M. de Rougé est fils de ce marquis de Rougé qui, tout récemment encore, servait aux cent-suisses, sous le duc de Mortemart, et siégeait à la Chambre des Pairs. C’est un jeune homme de vingt-cinq ans, vif, spirituel, plein de moyens, mais une tête en chaos. Il était attaché à la Légation d’ici sous Charles X. N’ayant pas été remplacé par le nouveau gouvernement, il est revenu à son poste, tout heureux de quitter Paris, où les choses ne vont pas à son gré. On ne comprend pas au juste, à l’entendre, et lui-même ne sait pas sans doute ce qu’il veut : il regrette que l’Empereur soit mort, tombe à bras raccourcis sur les Bourbons, dont il trouve heureux qu’on soit débarrassé, mais… tombe aussi sur le Roi et, pour finir, redoute la République plus que tout au monde ! Il se moque de Charles X, du Dauphin, et pleure les malheurs de cette famille. C’est un admirateur passionné de la Reine, qu’il amuse par son babil. Elle le raisonne, elle veut qu’il soit Français avant tout, comme elle-même et comme ses enfans.

Elle se croyait quitte pour la journée quand les Brésiliens de la Légation ont paru au complet. La Reine est tante de leur Impératrice par le mariage de la jolie princesse Amélie, célébré l’an dernier, avec Dom Pedro. J’étais seule, au salon, en face de ces quatre hommes, qui m’écrasaient, quand le Prince est arrivé. Il a échangé quelques mots en italien avec le ministre. La Reine s’est entretenue à son tour avec le chargé d’affaires, qui a l’air d’un homme de mérite. J’avais le plus jeune et le plus joli de la bande. Quant au quatrième, un nègre blanchi, il est resté silencieux.