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Le Nord a succédé au Midi, en la personne de la comtesse Samoïloff, jeune femme vive, originale, qui plaît sans être jolie par le mouvement de sa physionomie. Elle a une mauvaise tête, mais un bon cœur, et met à ses folies une franchise qui les lui fait presque pardonner. Elle était coiffée d’une manière si bizarre, qu’elle m’a rappelé Azor dans l’opéra de Zémire ; avec cela, une robe de cachemire et un rang de perles d’au moins 100 000 francs. Son napoléonisme se faisait jour dans le récit qu’elle nous a fait des événemens de Juillet ; elle était à Paris à ce moment-là. En face d’elle, un Russe de la Légation prenait le contre-pied de ce qu’elle disait. Il a un bras de moins, une figure expressive et régulière ; ses opinions nous sont défavorables. Il tournait en ridicule la popularité du Roi, qu’on pouvait voir, disait-il, pour cinq francs. Un Anglais avait donné cette somme à des gamins, et ils avaient tant crié que le Roi s’était montré au balcon du Palais-Royal. Un autre, pour dix francs et par les mêmes moyens, avait fait chanter la Marseillaise à Louis-Philippe.

La Reine, ni son fils ne peuvent dire sur un pareil sujet tout ce qu’ils pensent ; mais il est difficile de croire qu’ils aient trouvé la conversation de leur goût. Pour finir, nous avons eu le général prussien Lepel, qui m’a paru un homme d’esprit. La Reine l’a beaucoup gracieuse, comme venant de chez sa cousine la grande-duchesse Stéphanie de Bade. Un marquis et une marquise Potentia nous ont fait regarder des gravures ; c’est la ressource quand on a tout dit et qu’on ne sait plus qu’ajouter. Deux artistes français ont parlé politique : c’est le sujet du jour, chacun le traite à sa manière et la Reine tolère toutes les opinions.

L’événement de la soirée a été un commencement d’incendie qui s’est déclaré dans ma garde-robe. J’aurais voulu partager à ce propos la joie des domestiques, qui voyaient dans cet incident le présage d’événemens heureux. Mais mes pressentimens de l’autre jour me sont revenus en tête et, joints à la fatigue, m’ont longtemps empêchée de dormir.


21 novembre.

La princesse Zénaïde, femme de Charles-Lucien, prince de Musignano, et sœur de la princesse Charlotte, est venue dans la matinée. C’est en 1822 qu’elle a épousé son cousin, âgé alors